"On reconnaît le degré de civilisation d'un peuple à la manière dont il traite ses animaux", Gandhi. À la lumière de cette citation, on est dans l'obligation de nous interroger sur le degré de notre civilisation vu la manière dont on traite les animaux, les chiens errants en particulier. Quelque part entre Misserghin et Boutlélis, au sud-ouest d'Oran, un refuge, installé dans la discrétion entre des fermes agricoles, accueille les chiens errants. Aucun panneau ne signale la présence de cet abri qui existe pourtant depuis 2013. Sur place, plusieurs chiens en liberté accompagnent le véhicule de Mme Nassima Tehami, présidente de l'association de protection de l'environnement et de l'animal Au bonheur des quatre pattes, dont le coffre contient leur nourriture. À bord de la Renault Symbol, deux bénévoles de l'association et le médecin vétérinaire. D'autres chiens, anneau à l'oreille ou portant un collier, sont gardés dans un grand espace grillagé faisant office de chenil, alors que les plus mal en point sont mis en quarantaine. Ce refuge est l'un des trois créés par l'association pour sauver les chats et des chiens errants dans la wilaya d'Oran. Deux de ces refuges sont dédiés aux chats et aux chiens, et le troisième est une sorte de clinique vétérinaire qui abrite les animaux errants blessés. "Les chiens handicapés sont gardés dans cet endroit", explique Mme Tehami en taisant sa localisation. L'objectif de l'association est de régler le problème des chiens errants en les capturant puis en les plaçant en isolement pour déceler des maladies potentiellement dangereuses pour l'homme, particulièrement la rage. Les canidés sont ensuite vaccinés contre la gale ou contre des affections potentiellement mortelles comme la Parvovirose canine, la maladie de Carré ou encore l'hépatite de Rubarth, comme l'explique Hichem, le vétérinaire. Ils sont ensuite stérilisés et identifiés pour une plus grande traçabilité. Sur place, Fernande, une croisée rescapée d'une battue administrative, sérieusement blessée à la chevrotine, il y a quelques années. "Il a fallu quatre heures pour extraire toutes les puces qu'elle avait sur le corps." Mme Tehami se rappelle de son combat qui a duré une semaine pour l'arracher à la fourrière municipale. "Je n'oublierai jamais ce que j'ai vu là-bas. Imaginez 20 chiens à l'intérieur d'une cage, arrosés d'eau, en train de hurler à mort, avant d'être électrocutés puis jetés, cramés, dans un camion. J'ai vu cela de mes propres yeux", raconte-t-elle, la voix envahie par l'émotion. La scène la marque et, sortie de la fourrière d'El-Hamri, elle décide de créer son association. Cette histoire vieille de sept ans rapporte, en fait, une étape dans le processus d'élimination de ces canidés à la seule fourrière canine existante dans la wilaya d'Oran. Dans les 1990, les chiens errants capturés dans des camions spécialisés de la fourrière étaient mis à mort par injection de strychnine, méthode qui a connu un arrêt brutal, une décennie plus tard, le produit qualifié de dangereux étant acheminé depuis Alger. "Pour des raisons sécuritaires, on a cessé d'utiliser la strychnine pour la remplacer par l'électrocution", explique une source communale. Suite aux difficultés financières et logistiques rencontrées par la fourrière, les autorités locales ont décidé de recourir aux battues administratives. "Pour des raisons financières, les mairies ne peuvent pas renouveler le parc automobile spécialisé dans la capture des chiens errants, et les capteurs professionnels ne sont plus formés. L'Etat fait donc appel aux associations de chasseurs et le wali prend cette responsabilité depuis trois ou quatre ans", souligne Ahmed Benmahdi, SG de la Fédération nationale des chasseurs. "Les associations désignent des tireurs attitrés qui sortent le soir accompagnés par des représentants communaux et des services de sécurité selon leur compétence territoriale", continue encore Benmahdi. Quatre à cinq sorties par commune sont ainsi organisées annuellement et, en moyenne, 30 à 50 chiens errants sont abattus par nuit. Selon notre interlocuteur, 450 canidés errants sont mis à mort chaque année à Oran, alors que dans certaines wilayas le nombre avoisine les 1 200 à 1 300. Strychnine, électrocution et chevrotine Ces battues sont organisées soit sur plainte des habitants ou après une attaque de chiens errants sur des citoyens. Plus de 1300 morsures ont été recensées par la Direction de la santé de la wilaya pendant les neuf premiers mois de 2020. Les enfants sont les plus exposés, surtout ceux qui résident dans des régions enclavées où l'on relève une prolifération inquiétante des animaux errants. La plupart des cas sont enregistrés à Sénia, Gdyel, Aïn Turk, Arzew, Sidi Bachir, Bethioua et Oued Tlélat. Les enfants de 3 à 15 ans sont les plus touchés, avec un pic parmi les moins de 5 ans, selon la DSP. En juillet 2019, Kaddouri Ilyès, 8 ans, est décédé au service infectieux de l'hôpital pédiatrique d'El-Menzeh des suites à d'une encéphalopathie d'origine rabique (rage humaine) après avoir été mordu un mois auparavant à Oran par un chien errant atteint de rage. Le chien, qui avait mordu deux autres enfants et deux adultes, a été retrouvé et abattu. Dans sa politique de lutte contre ce phénomène, l'objectif avoué des pouvoirs publics est l'éradication de ce fléau à l'horizon 2030 par la vaccination des chiens et la prophylaxie post-morsure. Une intention également partagée par l'association Au bonheur des quatre pattes qui demande le soutien des pouvoirs publics. "On sollicite l'aide de l'Etat. Ils n'ont qu'à nous donner les moyens et ils ne verront plus de chiens errants dans le tissu urbain", affirme Nassima Tehami, qui se donne dix ans pour réaliser ses objectifs. "Jusqu'ici, on a pu sauver un nombre impressionnant d'animaux errants", assure-t-elle en parlant de mille chats et 800 chiens sauvés de la mort. L'association qui ambitionne de former ses propres capteurs s'apprête à signer une convention avec deux associations turques et sollicite l'Etat pour le matériel roulant en attendant l'octroi d'un terrain pour réaliser "un vrai refuge avec des boxes". La présidente avoue avoir frappé à toutes les portes, elle a été confrontée au refus du maire d'Oran de la recevoir et aux promesses des différents walis. "J'ai même rencontré la ministre de l'Environnement mais sans succès", se désole-t-elle. Les chantiers de construction ou le chenil grandeur nature Entre la location du terrain qui sert de refuge, la vaccination, la nourriture (7 millions par mois entre chiens et chats) et la stérilisation (15 000 DA pour les femelles et 9000 DA pour les mâles), "c'est ma retraite qui y passe", avoue Nassima Tehami. Les canidés capturés sont ensuite proposés à l'adoption et, là encore, la présidente de l'association a son mot à dire. "Les gens veulent surtout adopter les chiens de race comme les malinois, les caniches ou les bergers allemands. Je me déplace chez les futurs propriétaires pour voir comment ils seront traités." Mme Tehami espère également prendre en charge les chiens de race placés par la justice dans la fourrière. Pour les autres chiens croisés qui se trouvent dans le refuge de Misserghin, leurs photos sont publiées sur la page facebook de l'association en attendant leur placement dans des fermes. Sur la prolifération de ces animaux errants, tout le monde s'accorde à condamner la multiplication des chantiers de construction. Aussi bien l'association que la commune d'Oran ou la fédération nationale des chasseurs, tous pointent un doigt accusateur vers les promoteurs immobiliers. La fédération des chasseurs propose au ministère de l'Intérieur de se pencher sur les raisons de la prolifération de ces canidés, affirme Ahmed Benmahdi qui explique que les responsables des chantiers préfèrent embaucher un seul gardien : "Celui-ci ramène un couple de chiens qui se reproduit en sachant qu'une chienne peut avoir 12 à 13 chiots par portée. Le fait de ne pas les nourrir pousse ces chiens à se rabattre sur les poubelles et les décharges sauvages." Pour lui, la police doit intervenir pour vérifier si les chiens sont vaccinés et gardés, en rappelant que la loi stipule que si un chien n'est pas gardé, son propriétaire peut être poursuivi en justice. Ces contrôles peuvent éviter des battues administratives qui finissent parfois en drame : "Il y a un peu plus de deux ans, une association de chasseurs était sortie du côté de Misserghin mais les cartouches utilisées étaient non conformes. Les chasseurs avaient reçu de la chevrotine qui est une munition interdite pour le gros le gibier et encore plus pour les chiens errants à l'intérieur du tissu urbain." En tirant sur des chiens, un des chasseurs a accidentellement blessé une personne, a été jugé et condamné en première instance à 3 mois de prison et, après appel, la sentence a été ramenée à une simple amende. "La responsabilité du maire est engagée, puisque c'est lui qui organise les battues administratives et il est aussi responsable de la qualité des cartouches délivrées aux chasseurs", souligne notre interlocuteur, en insistant sur la demande faite par les chasseurs, par le biais de leur fédération nationale, de renouvellement de leurs fusils de chasse dont beaucoup sont vieux de cinquante ans. Par : SAID OUSSAD