Par : Mohamed HAOUCHINE (Liberté) Dans le monde fabuleux du football universel, sport roi par excellence, il est de ces hommes qui ont marqué de leur empreinte indélébile la mémoire collective et l'histoire de clubs mythiques jusqu'à en faire une références, une repère mémorable. Dans ce registre, le mythique club de la Jeunesse sportive de Kabylie (JSK), club algérien le plus titré en Algérie et en Afrique, n'est pas près d'oublier le passage exceptionnel de l'entraîneur polonais Stefan Zywotko, qui fit les beaux jours du fameux "Jumbo-Jet" des années 1980. C'est sous son patronage que le club du Djurdjura balayait tout sur son chemin, sur le plan tant national que continental. En témoigne son palmarès national et continental. Sous Zywotko, il enchaînait les victoires et les titres. Sept titres de champion d'Algérie, une Coupe d'Algérie, deux Coupes d'Afrique des clubs champions et une Super-coupe de la CAF. Le plus Kabyle des Polonais avait fait du stade du 1er-Novembre de Tizi Ouzou l'antre à succès de la JSK, une équipe qui brille de ses étoiles. La Kabylie se souviendra de lui pour toujours, tant le nom de l'entraîneur à la grande silhouette est éternellement lié aux moments de gloire des Lions du Djurdjura. Khalef-Zywotko, un tandem mythique Aux côtés de l'inoubliable Mahieddine Khalef, un autre technicien de renom qui a marqué aussi l'histoire de la JSK et celle de l'équipe nationale d'Algérie, Stefan Zywotko aura réalisé un travail titanesque à Tizi Ouzou, où il est arrivé en mars 1977, pour ne repartir qu'en... décembre 1991, soit quatorze ans et demi de bons et loyaux services au profit des Canaris. "Stefan était un bon préparateur physique qui ne rechignait jamais à l'effort et à la discipline, et notre entente dans le travail frisait la complicité sur le terrain et dans la vie de tous les jours à un tel point que je l'ai toujours considéré comme un confident et un grand frère", nous dira Mahieddine Khalef qui, l'espace d'une discussion passionnante et fort émouvante, n'a pas pu s'empêcher de verser quelques larmes de fierté et de nostalgie qui nous renvoient aux années fastes du club du Djurdjura. "Lorsque j'étais au service de l'équipe d'Algérie, c'est Stefan qui gardait jalousement la maison et dirigeait l'équipe d'une main de maître, surtout que je l'ai toujours valorisé auprès des joueurs qui lui vouaient un respect paternel et profondément affectueux", ajoutera celui qu'on appelle, de nos jours encore, "l'homme de Gijón" et ce, près de quarante ans après l'exploit retentissant de la génération dorée des Belloumi, Madjer, Fergani, Dahleb et autres Assad, qui avaient vaincu, en terre ibérique, la fameuse "Mannschaft" des Briegel, Rummenigge, Breitner, Littbarski et autres Schumacher. Et tous ceux qui côtoyaient Zywotko, à l'époque, se rappellent qu'il avait savouré cette victoire historique de l'Algérie face à l'Allemagne en 1982 du fait qu'il se considérait comme un "Algérien d'adoption" qui vouait une estime particulière à son ami Mahieddine Khalef et une fierté sans faille à ses propres joueurs "mondialistes", en l'occurrence le capitaine Ali Fergani, Cerbah, Larbès et Amara. Pourtant, Stefan Zywotko est arrivé en Algérie sans connaître un traître mot de français et encore moins d'arabe ou de kabyle, à un tel point qu'il se baladait souvent, à ses débuts, avec un dictionnaire de poche polonais-français à la main pour pouvoir communiquer avec ses joueurs et ses dirigeants, encore que le langage universel du "sport à onze" lui servait de palliatif pour faire passer le message sur le terrain, dans les vestiaires ou au resto du club. Cela dit, au fil des années, ce grand technicien que tous les Kabyles appelaient respectueusement et affectueusement "Monsieur Stefan" a réalisé d'énormes progrès en français et comprenait aisément le kabyle et l'arabe parlé à un tel point qu'il grognait en polonais après chaque boutade lancée par les joueurs kabyles, qui prenaient un énorme plaisir à le taquiner avec beaucoup de sympathie et de complicité. En fait, si le technicien polonais était à cheval sur la rigueur et la discipline au travail, il éprouvait aussi un immense plaisir à jouer au "pépère" après le boulot, d'autant plus que ses poulains le lui rendaient bien. Mieux encore, il collait souvent des surnoms "sympas" à la plupart de ses joueurs pour mettre de l'ambiance dans les vestiaires car, à l'époque, l'esprit de famille était sacré au sein de la "maison JSK". Toutes les "vieilles gloires" de la belle époque que nous avons pu approcher, en l'occurrence les Adghigh, Amara, Haffaf, Sadmi, Medane, Benlahcène et autres Fergani, ne tarissent pas d'éloges sur leur ancien coach qui, de leurs propres aveux, constituait leur second père de famille qui inspirait respect et confiance en toute circonstance, à un tel point qu'ils l'appellent régulièrement au téléphone, chez lui à Szczecin, une ville située à quelque 500 km de la capitale Varsovie. L'ancien kiné des années 1980 Hanafi Si Mansour, qui était jadis son confident et son complice de tous les jours, a tenu à rappeler que "Stefan était le premier à arriver au stade le matin et le dernier à quitter les vestiaires après l'entraînement, et il ne tolérait aucun écart de langage ni le moindre laisser-aller au travail, surtout qu'il donnait l'exemple sur le terrain du fait qu'il était taillé dans du roc et que sa condition physique tout comme sa frappe de balle étaient phénoménales, même à un âge avancé". Près de trente ans après avoir quitté la JSK et cette Kabylie chaleureuse qui l'avait adopté durant une décennie et demie jusqu'à lui coller fraternellement le nom hautement symbolique de... Stefan "Aït Zywotko", le technicien polonais, qui s'apprête à fêter ses... 101 ans ce 9 janvier courant, n'a pas pour autant oublié sa chère JSK. Lors d'une récente conversation téléphonique qui lui a fait énormément plaisir, à la mi-décembre, Stefan nous a aussitôt interpellés sur le parcours de la JSK qui avait mal débuté le présent championnat. "Mais catastrophe, pourquoi JSK pas bonne cette année ?" nous a-t-il lancé, comme il le faisait jadis où il grommelait à qui voulait l'entendre dès lors que la machine kabyle était mal huilée. C'est que Stefan est toujours exigeant avec "sa JSK", comme s'il n'avait jamais quitté son club de cœur, car son histoire merveilleuse avec le club kabyle n'est pas près de s'estomper jusqu'à la fin de ses jours. Et pour preuve, Stefan aura vécu des journées de bonheur en janvier 2003, il y a dix-huit ans de cela, quand il fut invité au jubilé d'Ali Benlahcène, son "Tchipalo brésilien" qu'il adorait comme un véritable fils. Mon Dieu, ce que le "Kabylo-Polonais" de Tizi Ouzou et de Szczecin était heureux de baigner dans une ambiance de folie et de famille, au milieu de tous ces visages familiers, qu'ils fussent anciens joueurs ou ex-dirigeants, mais aussi des fidèles supporters, toutes générations confondues, tout cela sous le regard fier et affectueux de son fils aîné qui avait tenu à l'accompagner tout au long de ce sacré pèlerinage en Kabylie ! Et Dieu sait aussi à quel point la grande famille de la JSK et la Kabylie tout entière furent consternées, en 1993, à l'annonce de son prétendu décès survenu en Pologne, une rumeur fort heureusement démentie quelques jours plus tard par un ancien dirigeant de la JSK, en l'occurrence Khelil Zemirli, qui a eu l'immense privilège d'avoir fait ses études d'ingénieur en métallurgie en Pologne, plus précisément dans les chantiers navals de Gdansk et de Lech Walesa, et qui fut longtemps l'interprète-traducteur et l'un des amis les plus fidèles de Zywotko à Tizi Ouzou mais aussi à Gdynia, où la JSK avait effectué une préparation estivale à la fin des années 1970. "Stefan Zywotko adorait la Kabylie, et la Kabylie le lui rendait bien, à un tel point qu'il aurait voulu vivre éternellement dans cette région qui a toujours eu une grande admiration pour les hommes de valeur et de respect de cette envergure", avoue Khelil Zemirli qui, lui aussi, ne rate jamais l'occasion de passer un coup de fil à "Tonton Stefan" pour prendre de ses nouvelles et se rappeler le bon vieux temps du fameux "Jumbo-Jet" des années 1980 qui a marqué l'histoire du football algérien mais aussi la vie de "Zywotko", le Polonais de Tizi Ouzou. Stefan Zywotko-Matoub Lounès, une amitié solide Dans la ville des Genêts, plus particulièrement au quartier des Tours-Villas où il a résidé durant de longues années avec sa brave femme, malheureusement décédée le 16 janvier 2018, Stefan Zywotko n'avait que des amis et des admirateurs. Les voisins de palier tout comme les commerçants de la cité ont gardé un souvenir mémorable et affectueux de l'ancien entraîneur de la JSK. Mieux encore, le chantre de la chanson amazighe et grande idole de la jeunesse en Kabylie le regretté Matoub Lounès et Stefan Zywotko s'étaient liés d'une grande amitié à l'époque, à un tel point que le défunt artiste ne ratait jamais l'occasion d'aller saluer chaleureusement Stefan au stade du 1er-Novembre, alors que ce dernier vouait une admiration toute particulière au "Rebelle". "Certes, je ne comprenais pas les paroles chantées en kabyle par Lounès, mais j'étais envoûté par sa belle musique et son sourire légendaire, et j'avais fini par comprendre qu'il chantait pour la liberté, la démocratie et le combat identitaire des Amazighs", avouait autrefois Stefan, qui était subjugué par la grande popularité de Matoub en Kabylie, mais aussi impressionné par l'impact de ses chansons sur les jeunes de la région. C'est dire que Zywotko fait désormais partie de l'histoire fabuleuse de la JSK et que la Kabylie tout entière fait aussi partie de la vie de l'illustre entraîneur du "Jumbo-Jet" de la belle épopée. Alors, bon vent et longue vie encore à Stefan, que tous les citoyens de Kabylie vénèrent encore au point de le considérer désormais comme l'un des leurs ! Et pour preuve, les dirigeants actuels de la JSK comptent l'honorer tel qu'il se doit à l'occasion de son 101e anniversaire. N'est-ce pas que l'ami Stefan mérite bien une telle gratitude ?