Pour leur deuxième manifestation depuis le retour du Hirak, les étudiants ont pu imposer leur marche à Alger, en dépit d'un dispositif sécuritaire impressionnant. Centre d'Alger. 10h30. La place des Martyrs, sous un ciel gris et bas, est quadrillée par un imposant dispositif des services de sécurité. Sur le qui-vive depuis le retour du Hirak le 22 février dernier, ils bouclent le lieu en prévision de la marche des étudiants. Des dizaines de fourgons des forces anti-émeute sont déjà stationnés depuis l'aube et bloquent tous les accès menant à la célèbre place, tandis que des agents de police, dont certains en civil, faisaient des allers-retours scrutant le moindre mouvement annonçant un début de manifestation. Quelques journalistes devisent sous le regard crispé des forces de l'ordre. "Apparemment, la marche n'aura pas lieu", tente de prédire un des journalistes. Son collègue approuve et suppute lui aussi : "Vu ce dispositif, personne ne pourra passer entre les mailles du filet des forces de l'ordre." Il est 11h passées lorsque, soudain, un jeune étudiant déploie un drapeau national en lançant à la cantonade le fameux slogan : "Dawla madania, machi âaskaria" (Etat civil et non militaire). Très vite, il est repris par plusieurs voix. Et à quelques mètres de là, une pancarte est brandie, dépassant quelques têtes des passants : "Le peuple est source de pouvoir." Un premier groupe commence à se former. Mais très vite, il est encerclé et pris en sandwich par des dizaines d'agents anti-émeute. Les manifestants tentent de forcer le cordon sécuritaire. En vain. "En sous-nombre, ils seront vite dispersés", lance un passant. Et un autre de répondre : "Allons les soutenir au lieu de les regarder." La cinquantaine consommée, deux femmes voilées descendent du marché jouxtant la place des Martyrs. Elles se faufilent entre les hommes en bleu et se fondent dans le groupe des étudiants. "Istiqlal, istiqlal" (Indépendance, indépendance), scandent-elles au milieu de la foule. En quelques minutes, comme en écho, des dizaines de citoyens se joignent aux manifestants. Les protestataires tentent alors une deuxième fois de forcer le cordon de sécurité. De nouveau, sans succès. Confinés et repoussés par les forces de l'ordre, ils reculent et décident finalement d'emprunter une des ruelles de la Basse Casbah. En tête de pont, les "meneurs" appellent les protestataires à les suivre afin de contourner l'escouade de policiers. La procession s'engage dans les artères exiguës de La Casbah. "Noudou ya wlad el-Qasba, noudou !" (Debout les Enfants de La Casbah, debout !), lancent-ils. Des youyous fusent de l'intérieur des maisons et depuis des balcons. "Bataille d'Alger", s'écrie un étudiant. Message visiblement entendu. Les habitants du plus vieux quartier populaire de la capitale rejoignent par dizaines la procession qui avance en serpentant les ruelles de la citadelle. Hommes, femmes, jeunes et moins jeunes reprennent en chœur les slogans du Hirak. Au fil de la progression, la foule, une centaine de personnes au départ, grossit, tandis que résonnent dans les murs de La Casbah des slogans scandés à la mémoire d'Ali La Pointe. Empruntant la rue de la Lyre et son marché, les protestataires se dirigent vers la célèbre rue Larbi-Ben M'hidi, non sans savourer la joie d'avoir contourné l'impressionnant dispositif de sécurité. Quatre mille, cinq mille... peut-être même six mille personnes, peu importe le nombre, avancent, déterminées, vers la Grande-Poste, le cœur battant du Hirak. En traversant la rue Larbi-Ben M'hidi, des deux côtés, les passants accueillent le long cortège bruyant avec des applaudissements."Ya talaba, bravo 3likoum, wel Djazayer taftakhir bikoum" (Etudiants, bravo ! L'Algérie est fière de vous), scandent-ils, pendant que des youyous fusent depuis les balcons de la capitale et déchirent le ciel. La communion est belle et totale. Dès lors, la manifestation des étudiants s'est transformée en une grandiose marche populaire. "C'est un message, un de plus, aux tenants du pouvoir. Il faudra qu'ils comprennent enfin qu'on ne peut plus compter dans ce pays sans la voix du peuple", commente une étudiante de Bab-Ezzouar. Son amie est plus tranchée : "Le pouvoir est atteint d'autisme. Ils ne feront rien qui ira dans le sens du changement. On les fera partir. C'est une question de temps, le régime est aux abois." De La Casbah jusqu'à la Grande-Poste, sur près de deux kilomètres, la procession humaine a traversé le centre d'Alger sans aucun incident. La silmiya (pacifisme) du Hirak continue d'être préservée depuis ce fameux 22 Février 2019, une date désormais inscrite dans la mémoire collective des Algériens, comme référent historique. Vers 13h, arrivée à la Grande-Poste, la procession est accueillie par un "comité d'accueil" composé de plusieurs dizaines d'hommes des services de sécurité, matraques à la main. Là aussi des cordons de sécurité bouclent tous les accès menant à la rue Didouche-Mourad. La manifestation qui a emprunté l'avenue Pasteur tente, une fois de plus, de forcer le cordon de sécurité, mais elle est repoussée. À la deuxième tentative, la "digue bleue" finit par céder. Aux chants patriotiques et entonnant l'hymne national, les manifestants gagnent enfin l'esplanade de la Grande-Poste. Même si parfois, les interventions des services de sécurité étaient musclées, le défi a, toutefois, été relevé par les étudiants. La marche s'est bien déroulée, et la foule s'est dispersée dans le calme en se donnant rendez-vous pour vendredi.