Que vaut le vote préférentiel (cocher des noms de candidats sur une liste sans prendre en compte le classement), consacré dans l'article 170 de l'ordonnance n°21-01 portant loi organique relative au régime électoral dès lors que l'article 156 de ladite loi considère "les bulletins de vote ne comportent aucun choix de candidat comme suffrage exprimé au profit de la liste" ? La disposition conçue comme un rempart contre une réédition du scandale des législatives de 2017 (achat des sièges de députés), ne bouleversera probablement pas les habitudes des électeurs aux législatives anticipées du 12 juin 2021. Pour le président de l'Autorité nationale indépendante des élections (Anie), Mohamed Charfi, "cette solution est juste et équitable". Ce n'est, en réalité, qu'une alternative à un choix démagogique, peu pragmatique. "La mise en œuvre de cette disposition est compliquée aussi bien pour l'électeur que pour les agents chargés de l'opération de dépouillement", souligne Fatiha Benabbou, experte en droit constitutionnel. Elle explique qu'un décryptage de la participation aux rendez-vous électoraux précédents a démontré que les votants sont essentiellement des personnes âgées ou des résidants des zones rurales, soit des électeurs pas forcément lettrés ou "conscientisés politiquement". Des facteurs pluriels rendent, au-delà, l'application de l'article 170 du code électoral quasi impossible. Les autorités compétentes n'ont pas pu — ou voulu — mener une campagne didactique sur les changements opérés dans le mode d'expression du suffrage. Les partis politiques et les candidats indépendants, engagés dans la course électorale, sont soit dépourvus d'une base militante (une création récente ou une éclipse imposée entre deux scrutins), soit ils ont perdu du terrain (FLN, RND et autres alliés traditionnels du régime). "Si les candidats ne font pas du porte-à-porte, il ne sera pas possible d'aller au vote préférentiel", affirme la constitutionnaliste. En clair, nonobstant les professions de foi sur la lutte contre la collusion entre la politique et l'argent sale, le nouveau code électoral n'empêche guère, dans la pratique, l'élection des postulants les mieux classés sur l'affiche électorale. Le principe de la liste ouverte autant que celui de la parité existent sur papier, mais ne devraient pas influer outre mesure sur le résultat des urnes. C'est assurément en connaissance de cause que les pouvoirs publics misent sur la carte de la jeunesse. Au Conseil des ministres, tenu dimanche 21 mars, le président de la République a ordonné "de prendre toutes les dispositions administratives et financières liées au soutien et à l'encouragement de la participation des jeunes à cette élection (les législatives anticipées, ndlr)". Les dépenses, liées à la location des salles de meeting ainsi qu'à l'impression et au placardage des affiches électorales, seront prises en charge par le Trésor public. La démarche est légale car elle est prévue dans l'ordonnance n°21-01 portant loi organique relative au régime électoral, au chapitre réservé au financement de la campagne électorale. Son article 87 édicte : "(...) des aides éventuelles que peut accorder l'Etat aux jeunes candidats sur les listes indépendantes aux élections législatives et locales." Lors de sa conférence de presse, animée lundi dernier, la secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune a estimé immoral "de financer des listes de candidatures indépendantes avec l'argent public". Se référant à la philosophie d'Aristote, Fatiha Benabbou relève que "l'égalité n'est pas à caractère absolu". Elle rappelle que le principe de la discrimination positive a été utilisé, aux USA, au profit des Afro-Américains et des femmes. Il n'en demeure pas moins que la stratégie du pouvoir est fondée sur une volonté de maîtriser l'issue des prochaines législatives en disqualifiant la classe politique au profit d'une société civile acquise. "La représentation nationale se fait sur la base des partis politiques. Le populisme rampant est mauvais pour la démocratie", commente Mme Benabbou. Souhila H.