Le premier ministre désigné du Liban, Saad Hariri a rencontré à nouveau hier le président Michel Aoun pour lui soumettre une "ébauche de gouvernement", mais un pessimisme persiste sur la possibilité d'arriver à un accord entre les deux hommes en raison des profondes divergences d'approches et de la gravité de la situation économique. Le profond pessimisme concernant une issue figurait lundi à la une des grands quotidiens du pays. "Le Premier ministre Hariri se rend une nouvelle fois à Baabda, sans aucun espoir sur la possibilité d'une sortie de crise", tranche Al-Akhbar. Selon ce quotidien proche du Hezbollah, le président Aoun réclame le portefeuille de l'Intérieur, ainsi qu'une minorité de blocage – un tiers des ministres – au sein du gouvernement. "Rien ne semble indiquer qu'on se dirige vers un déblocage", confirme le quotidien francophone L'Orient-Le Jour, évoquant des "pourparlers qui tournent en rond". Depuis, c'est silence radio du côté de M. Hariri. "L'objectif principal de n'importe quel gouvernement sera tout d'abord de stopper l'effondrement (en coopération) avec le Fonds monétaire international, et de restaurer la confiance de la communauté internationale", avait-il auparavant indiqué. Le pessimisme des observateurs trouve son explication d'abord, dans les positions diamétralement opposées des deux hommes de l'exécutif. Alors M. Hariri reste intraitable au sujet d'un gouvernement de technocrates, le président Aoun lui a lancé un ultimatum, lors d'une rencontre, jeudi dernier, l'enjoignant de former "immédiatement" un gouvernement ou de rendre son tablier. Le chef du mouvement chiite du Hezbollah, Hassan Nasrallah, l'a aussi appelé à revoir sa formule pour y inclure des représentants des partis et en garantir ainsi, selon lui, le succès. Ces déclarations du chef du Hezbollah sont venues ajouter des complications. Cela a lieu aussi dans une conjoncture économique difficile, marquée par la dépréciation de la livre libanaise et l'explosion de la pauvreté et du chômage. Tous les indicateurs ont viré au rouge vif dans un Liban où l'érosion du pouvoir d'achat et la précarisation provoquent depuis plusieurs mois la colère de l'opinion publique, avec des manifestations et des blocages sporadiques de routes. Aussi, la classe politique semble toujours imperméable à l'urgence et déconnectée de la réalité. Même les injonctions de la communauté internationale ne l'ont pas fait bouger , après avoir survécu à l'automne 2019 à un soulèvement populaire inédit fustigeant la "corruption" et l'"incompétence" des dirigeants. Devant le Conseil de sécurité de l'ONU, une responsable onusienne a exhorté jeudi les autorités libanaises "à agir de toute urgence". Revenant hier à la charge, le chef de la diplomatie française a appelé l'Europe à "ne pas se désintéresser" de la crise libanaise. "Je veux que l'on puisse échanger ensemble sur les leviers qui nous permettraient de faire pression auprès des autorités libanaises, pour qu'elles bougent", a lancé M. Le Drian à Bruxelles pour une réunion avec ses homologues de l'UE. Une source diplomatique française avait récemment estimé qu'Européens et Américains devaient accroître les "pressions", brandissant même la menace de "sanctions".