Par : Dr MOURAD GOUMIRI Economiste et professeur associé Le président Tebboune sera-t-il le premier président à réunir le Conseil national de l'énergie, après Zeroual ? Selon les déclarations du ministre de l'Energie et des Mines, M. Arkab, 95% des textes d'application de la loi sur les hydrocarbures ont été finalisés, ce qui "devrait encourager les opérateurs internationaux à investir en Algérie". La logique d'un tel processus serait que l'ensemble de ces amendements soit présenté au CNE pour analyse et éventuelle approbation, avant leur mise en application, ce qui rassurerait davantage les opérateurs étrangers, habitués, à juste titre, au nomadisme juridique dans le domaine. En outre, son passage par cette institution va éviter des dérapages éventuels contenus dans ces amendements, afin de proscrire toutes affaires scabreuses comme celle de l'acquisition de la raffinerie d'Augusta, que l'ex-PDG de Sonatrach nous présentait, il n'y a pas si longtemps, comme l'affaire du siècle ! Certains me rétorqueront que le passage au CNE n'est pas un gage de rentabilité, ni de fiabilité, encore moins de transparence de l'opération. Je ne partage pas cet avis et il y a un précédent pour le prouver, puisque lors de la présentation des amendements de l'ancienne loi sur les hydrocarbures, le ministre d'Etat A. Zerhouni s'était farouchement opposé à ces derniers et le résultat fut probant, puisque la loi, signée par ordonnance, fut abrogée de la même manière. C'est toute la différence entre une décision "individuelle", concoctée dans les "arcanes du pouvoir", et une décision collective, à travers le CNE, qui engage la responsabilité de tous les acteurs qui le composent ! Qui a donc intérêt à geler le Conseil national de l'énergie, sans autres formes d'explications ? Le même refrain revient de nouveau, puisque l'ex-Premier ministre nous avait rassurés à cette époque, dans un communiqué laconique, que "le nouveau projet de loi vise à atteindre un système juridique, institutionnel et fiscal stable et favorable à l'investissement dans le domaine des hydrocarbures à long terme, sans porter atteinte aux intérêts nationaux, d'autant que la règle des 51/49 concernant les investissements étrangers dans ce domaine a été maintenue". Rien que ça, ce qui sous-entend, a contrario, que l'ancienne loi ne contenait pas ces conditions et que la nouvelle vient les y intégrer ! Combien de fois, depuis plusieurs années, avons-nous attiré l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité de recourir à la réunion du CNE, dont c'est la vocation première, afin de construire une stratégie énergétique, à moyen et long termes, qui échappe aux contingences des personnes et des événements, en vain ? Le poids des hydrocarbures est tel, dans tous les compartiments de notre pays, qu'il ne saurait être pris en otage par quiconque, nonobstant la qualification et l'honnêteté de ceux qui sont à l'origine des décisions finales et de ceux en charge de les mettre en œuvre ! Seule une décision collective et collégiale responsabilisant tous les acteurs peut créer un consensus autour des stratégies à entreprendre avec un minimum de risques et, en tout état de cause, assumé par ceux qui le prennent ! Ni le président seul, ni le ministre de l'Energie seul, ni le PDG de Sonatrach seul ne peuvent assumer cette responsabilité qui engage le pays tout entier et son avenir à long terme, dans la mesure où ils sont tous éphémères (mandat), alors que leurs décisions, dans le secteur, dépassent de loin leur mandature. En outre, il est clair que le refus de réunir le CNE est une fuite de responsabilité devant les décisions prises, au cas où elles seraient contraires aux intérêts de notre pays... Ainsi, le pouvoir n'est pas coupable et s'il faut "essuyer le couteau" sur quelqu'un, il donnera les têtes des cadres à la vindicte populaire pour assouvir sa demande légitime de justice, comme cela s'est produit lors des scandales de Sonatrach I, II, III et du dossier d'acquisition de la raffinerie d'Augusta en Italie. Il a sacrifié des présidents et des vice-présidents de l'entreprise, sans remonter au président A. Bouteflika ni à son ministre C. Khelil et encore moins à tous les intermédiaires qui ont encaissé les commissions (Bejaoui) et les ont partagées entre les différents décideurs. Dès lors, le CNE permet d'optimiser des avantages, en même temps qu'il minimise des risques encourus, dans un domaine très risqué, où les erreurs se paient cash. En outre, la collégialité et l'adhésion la plus large permettent la transparence et la responsabilité des décisions prises, dans un débat contradictoire où tous les arguments seront sur et non sous la table. L'implication obligatoire des partenaires étrangers en amont et en aval du secteur est également une donnée décisionnelle qui nécessite une vue globale et à long terme, qui engage la sécurité intérieure et extérieure du pays et nos relations avec nos partenaires étrangers. Elle ne saurait être confiée aux seules mains d'experts nationaux ou étrangers, mais nécessite une évaluation à tous les niveaux des coûts/avantages qui va structurer le contenu des décisions prises, jusque dans le moindre détail, là où "le diable réside" toujours ! Toutes autres démarches imposées inaugurent l'opacité, la confusion entre les intérêts collectifs et ceux individuels et finissent toujours par des scandales financiers que tous les contribuables seront les seuls à supporter, sur la base d'une règle non écrite qui consiste à mutualiser les pertes sur tous et concentrer les gains autour d'un noyau de saprophytes, confortablement installé à l'étranger. À quoi est donc due cette volonté de zapper le CNE ? Eviter un débat essentiel en son sein ? Cette manière d'agir va contribuer à élargir la suspicion sur les bien-fondés des amendements de cette loi et consolider le front du rejet. La sagesse voudrait que ces amendements passent au crible du CNE.