Par : KARIM KHALED Directeur de recherche et sociologue de l'éducation L'école en tant qu'institution ne peut que transformer les différences sociales antérieures en différences sociales ultérieures. Il est important de rappeler que la bataille pour la qualité de l'enseignement n'est pas encore sérieusement posée puisqu'elle est liée systémiquement à la problématique de la massification non contrôlée de l'école algérienne depuis les années 80 et la surpolitisation de cette dernières depuis les années 70. La qualité est sérieusement problématique malgré les budgets alloués depuis l'indépendance. La qualité de l'enseignement est liée aux trois éléments de base liés systémiquement, en l'occurrence, à la gouvernance, à la formation des formateurs et enfin au lois d'orientations et aux contenus des programmes scolaires. Le triptyque handicapant et l'émergence d'une école à deux vitesses Ces faiblesses majeures qui caractérisent l'école algérienne ont comme conséquences l'impossible école de qualité et l'émergence d'un système d'enseignement à deux vitesses en Algérie, avec des inégalités apparentes mettant en cause les fonctions de l'école, notamment dans ses transmissions des valeurs socialisatrices, les fonctions économiques et enfin d'intégration sociale. Or, actuellement, le système d'enseignement dominant ne peut qu'élargir les inégalités et augmenter le volume des échecs scolaires, qui est avant tout un échec dans le volume du capital culturel des familles, accéléré par les nomes dominatrices imposées par l'école ; elles-mêmes favorisent les familles déjà favorisées par leurs capitaux (culturel, économiques et symbolique). Ces inégalités invisibles qui échappent à la mesure des producteurs de savoirs sur commandes et les tenants des analyses scientistes, s'inspirant de la modélisation obsolète et formaliste loin de la réalité socio-anthropologique du champ éducatif en Algérie, vont être renforcées par l'émergence d'un système d'enseignement privé national et international destiné aux catégories sociales les plus favorisées. Ces deux systèmes parallèles qui agissent et réagissent, dans le champ éducatif algérien, doivent être soigneusement pris en charge dans toute analyse qui se veut rigoureuse, puisqu'ils sont générateurs d'inégalités sociales aiguës et de violences symboliques chez les catégories socialement défavorisées. Il y a de l'inconscient, du non-dit et de l'impensé dans cette nouvelle reconfiguration du système d'enseignement en Algérie. Il nous donne de la mesure sur le degré d'échec symbolique de l'école en tant que service public, de son anachronisme par rapport aux écoles privées, moins massifiées, mais chèrement coûteuses. Ils sont les soubassements des divisions sociales aiguës au sein de la société et générateurs des conflits et des ruptures générationnelles, l'émergence cyclique des mouvements sociaux (mouvements cycliques des enseignants et d'autres corps de l'éducation) et incapacité chronique, par l'absence de la fonction critique dans les programmes, pour former des citoyens actifs. L'école des refoulés transgénérationnels La vraie qualité de l'enseignement est liée au type de projet de société, issu d'un contrat ou d'un consensus sociétal autour du type d'école et de citoyens de demain. Le reste n'est que technique, facile à réaliser. Or, le consensus n'est pas encore établi pour des raisons historiques non élaborées, restées refoulées et transgénérationnelles. À défaut d'une alternative sociétale et consensuelle, la tendance depuis l'indépendance, et particulièrement depuis peu, est dominée par des orientations publiques, déclarées ou tacites, porteuses d'une tendance du "miracle techniciste - TICE - du secteur", mais loin de toute vision globale et inclusive de la réforme qui prend en charge, en premier temps, le triptyque que j'ai souligné en haut. La gestion descendante-pyramidale, centrale et centralisante, unanimiste et unilatérale a des impacts profonds à court et à long termes sur le fonctionnement de l'école (visibilité, qualité, rendement...) et de toutes les institutions sous tutelles. Ils oublient que le vrai enjeu réside dans le consensus sociétal. Toutes les littératures dominantes dans le domaine de l'éducation ont oublié deux questions fondamentales, simples, mais porteuses de nouvelles perspectives pour l'école de demain : que pensent les Algériens du système d'enseignement offert à leurs enfants ? Quel type d'école veulent les Algériens pour leurs enfants ? Or, depuis l'indépendance à nos jours, les multiples "réformes" induites ne peuvent être unilatérales, loin des fonctions basiques du management participatif. La primauté de l'administratif sur le pédagogique a tué les fonctions et les missions de l'école. Elle a même dénaturé et dévitalisé tout le système d'enseignement. Elle l'a rendu obsolète et anomique, porteur de pratiques crisogènes provoquant ainsi un processus de désinstitutionalisation et, tellement la nature a horreur du vide, l'école et tout le système éducatif sont pris au piège par des pratiques de copinage, réseautages et des assabîyate ; il s'agit d'un processus de retraditionalisation qui ronge le système d'enseignement. La corrélation est très significative avec le faible rendement des établissements scolaires, sur l'école de qualité et l'émergence du système à deux vitesses. Ecole et citoyenneté L'école avait, juste après l'indépendance, comme fonctions tacites et inconscientes la reproduction les deux types Arkouniens (Mohamed Arkoun) de l'ignorance, en l'occurrence, l'ignorance sacralisée et l'ignorance institutionnalisée. Les contenus des manuels scolaires et les programmes explicitent davantage les décalages sociocognitifs des valeurs enseignées avec le degré de leurs usages dans la vie quotidienne Je pense qu'il faut de grands projets de recherches avec une perspective sociohistorique et psychanalytique très rigoureuse pour saisir les différents impacts de ces décalages qui ne peuvent que construire des socialisations conflictuelles au point de la schizophrénie, dont des identités personnelles et collectives sont profondément atteintes et porteuses des représentations, attitudes et pratiques ambivalentes, des contradictions sociales difficiles à dépasser et entravent l'institutionnalisation de la citoyenneté. Le problème est profond ! Il a engendré un syndrome d'autodestruction, qui a traversé inconsciemment des générations (transgénérationnel) ! L'avenir de l'Algérie est lié au consensus autour de l'école de qualité, incarnant l'Algérie réelle, porteuse des vertus de l'esprit critique, des valeurs de l'éthique, des libertés de pensée, de croyance et d'entreprendre... Jacques Berque a tout à fait raison d'écrire qu'"il n'y a pas de sociétés sous-développées mais des sociétés sous-analysées". Tout progrès ne peut être qu'un creuset de la dynamique de la pensée et des savoirs dans une ambiance de liberté de pensée et d'entreprendre loin de contraintes administratives et politiques. Le problème de l'école est dans sa gouvernance et le reste suit systématiquement. La recherche scientifique autonome est primordiale pour saisir ces problématiques de fond de l'école. Mais encore une fois, la recherche scientifique reste aussi problématique en Algérie tant que l'administratif prévaut sur le scientifique et est incapable de s'autonomiser. Son avenir et l'avenir de l'Algérie dépendent de cette dernière.