Neuf enseignantes, dont l'une vit avec un nourrisson, ont été violemment agressées à l'arme blanche à l'intérieur de leur logement de fonction collectif à Bordj Badji Mokhtar, dans la nuit de lundi à mardi. Deux d'entre elles se trouvent dans un état grave. Les monstres ont encore frappé, lâchement. Leur cible, comme toujours, des femmes sans défense. Ils leur ont fait subir l'horreur. Neuf enseignantes, dont l'une vit avec son enfant d'à peine 18 mois, ont été victimes d'une agression à l'arme blanche et de vol à l'intérieur de leur logement de fonction collectif dans la nouvelle wilaya de Bordj Badji Mokhtar, dans la nuit de lundi à mardi. Quatre individus se sont introduits dans leur appartement et les ont dépouillées de tout ce qu'elles possédaient avant de prendre la fuite, a affirmé la direction de wilaya de l'éducation nationale. Certaines sources de la communauté éducative et de l'entourage des victimes agressées évoquent même le viol de ces enseignantes à 2h du matin. Durant deux heures, les victimes ont subi à huis clos le supplice qui leur a été infligé par leurs agresseurs, qui leur ont pris leurs téléphones, leur argent et leur micro-ordinateur portable avant de prendre la fuite. "Ils ont mis le couteau sous la gorge de l'enfant, en menaçant de l'égorger si les enseignantes ne se pliaient pas à leurs ordres. Puis, ils ont commencé à faire entrer nos collègues individuellement dans une pièce à côté", nous a confié une autre source, la gorge nouée, reprenant le témoignage de l'une des victimes lors de son transfert à l'hôpital d'Adrar. "Ils ne sont partis que lorsque leurs amis, postés dehors, les ont alertés de la présence de personnes en ville", où les gens commençaient à sortir de chez eux pour se rendre à la mosquée ou à leur travail, explique encore notre source. "Une des victimes devait se marier dans quelques semaines", témoigne un enseignant sur les réseaux sociaux, où l'information a été largement relayée et a surtout suscité colère et indignation. Deux enseignantes sont dans un état grave, a précisé la même source. "Une de nos collègues a été touchée au bras. Elle s'en est sortie avec dix-huit points de suture", nous a confié un enseignant qui a requis l'anonymat. "Elles sont placées en isolement où elles reçoivent les soins et le soutien psychologique nécessaires", nous dira un enseignant de Bordj Badji Mokhtar, où exerceraient quelque 500 autres enseignants, tous paliers confondus (primaire, collège et lycée). "Aucune personne n'est autorisée à les voir ou à leur parler, y compris les membres de leur famille", nous a confirmé une source sur place, dénonçant la fuite en avant des responsables du secteur et des autres autorités. Ce qui a conduit, selon elle, à un tel drame. Retrait collectif Exaspéré par ce qui est arrivé à leurs collègues, le Syndicat algérien des travailleurs de l'éducation (Sate) a dénoncé "cette agression lâche, sauvage et inhumaine", la quatrième, selon lui, contre cette école dans une longue série d'agressions répétées qui ont touché d'autres établissements en moins d'un mois et demi. En réaction à ces agressions, plusieurs mouvements de grève et de rassemblements des enseignants ont été organisés à Bordj Badji Mokhtar et au chef-lieu de la wilaya Adrar, où ont été évacuées leurs collègues dans "un état critique", nous a indiqué une source. Hier, les enseignants ont déposé un retrait collectif après avoir boycotté, la veille, les examens de fin d'année, estimant que la vie de enseignants est en danger. Si certains ont pu trouver une place dans le vol BBM-Adrar, d'autres sont en route pour rallier le chef-lieu de wilaya, où ils comptent observer un sit-in dimanche prochain. "Les enseignants qui n'ont pas pu trouver de vol sont en route. Faute de transport et vu la longue distance entre BBM et Adrar, ils sont pris en autostop par les camions transportant du gasoil et des marchandises", nous dit Houssam, un membre du Sate, dont le syndicat n'a cessé d'alerter les autorités concernées et la tutelle sur l'insécurité permanente dans les écoles de la région. "Personne ne nous a écoutés ou a essayé de régler ce problème. Certaines écoles ne disposent ni d'agents de sécurité ni d'agents de nettoyage. C'est l'enseignant qui fait tout et qui affronte ses agresseurs régulièrement", dénonce encore une enseignante, ajoutant que même les hommes n'échappent pas à ces agressions répétées contre le corps enseignant dans cette région déshéritée et désertique du pays, frontalière avec le Mali. Dans la wilaya voisine de Timimoun, des enseignants affiliés à un autre syndicat, le Satef, ont observé un arrêt de travail symbolique d'une demi-journée hier, en signe de solidarité avec leurs collègues de Bordj Badji Mokhtar, a-t-on appris de leur section locale. Face à ce climat d'insécurité et après l'agression de lundi soir, les bureaux de wilaya de quatorze syndicats de l'éducation nationale ont décidé d'une grève générale pour la journée d'hier et d'un sit-in devant le siège de la wilaya d'Adrar comme première action de contestation, estimant, dans un communiqué rendu public mardi, que ce qui s'est passé à BBM est "nourri d'arrière-pensées racistes qui menacent le secteur de l'éducation, mais aussi l'unité nationale". Les syndicats pensent que les auteurs de cette agression agissent sur ordre d'autres personnes tapies dans l'ombre, poursuit le communiqué en question. Une marche dénonçant l'insécurité a été organisée à Adrar par quelques enseignants et un rassemblement a été tenu devant le siège de la wilaya, selon nos informations. Le drame, qui a eu lieu à Bordj Badji Mokhtar, nous rappelle l'affaire des femmes violées dans la ville pétrolière de Hassi Messaoud, en 2001. Des dizaines de femmes, pour la plupart originaires des wilayas du nord-ouest du pays, employées par les compagnies pétrolières et vivant seules dans le bidonville de Haïcha à Hassi Messaoud, ont été attaquées par une foule en furie de 300 hommes, le 13 juillet 2001, poussés par le discours haineux d'un imam intégriste. Ils sont revenus le lendemain pour agresser d'autres femmes, laissant certaines d'entre elles pour mortes. Parmi ces femmes, certaines vivaient avec leurs enfants. Le même scénario s'est répété neuf ans plus tard. Des femmes isolées à Hassi Messaoud, majoritairement venues du nord du pays à la recherche d'un travail comme femmes de ménage ou employées dans les entreprises locales de sous-traitance ou spécialisées dans le catering, ont été agressées par des hommes encagoulés et armés de couteaux.
Lyès MENACER ARRESTATION DE DEUX SUSPECTS ■ Deux individus suspectés d'être impliqués dans l'agression à l'arme blanche contre des enseignantes à Bordj Badji Mokhtar ont été arrêtés par les services de la sûreté de wilaya de Bordj Badji Mokhtar, a indiqué, hier, un communiqué du parquet général de la cour de justice d'Adrar. Aussitôt alertés de cette agression, largement condamnée et qui a jeté un grand émoi au sein de la population locale, le parquet du tribunal de Bordj Badji Mokhtar a chargé les services de la Police judiciaire de diligenter une enquête approfondie dans cette affaire et d'arrêter les auteurs dans les plus brefs délais en recourant à tous les moyens légaux. Les investigations ont permis d'appréhender jusque-là deux suspects qui ont été identifiés par les victimes, et l'enquête se poursuit, a-t-on fait savoir. Le parquet général de la cour d'Adrar s'est engagé à tenir l'opinion publique informée des résultats de l'enquête et des procédures engagées, selon le même communiqué.
APS "UN ACTE D'UN AUTRE ÂGE", ESTIME LE RCD Le RCD a qualifié d'acte d'un "autre âge", l'agression et le viol dont ont été victimes des enseignantes à Bordj Badji Mokhtar. "Cet acte d'un autre âge nous interpelle par sa sauvagerie et pose avec acuité la fragilité lancinante du statut de la femme", estime le RCD dans un communiqué rendu public. "Le phénomène de la violence multiforme qui touche les femmes, toutes catégories confondues, est un fléau social, un problème de santé publique dans toute sa dimension. Il est impérieux de garantir à la femme un statut de citoyenne, de manière effective, pleine et entière", soutient le parti. "C'est un impératif incontournable pour la mise en place d'un Etat de droit et la préservation des droits et libertés. Les pouvoirs publics doivent assumer leurs responsabilités quant à la préservation de la femme de toutes formes de violence et non pas se limiter à des déclinaisons de principe dans des textes juridiques, dont la loi fondamentale du pays, mais sans aucune effectivité", ajoute le texte. Pour le RCD, les pouvoirs publics sont, une fois de plus, interpellés quant à l'obligation qui pèse sur eux, celle d'assurer la sécurité des personnes et de prémunir la femme du phénomène de la violence. "Le martyre subi par ces enseignantes ne doit pas rester vain. Les auteurs de ces actes abjects se doivent de répondre de leurs actes", dit-il. Le RCD "appelle à la mobilisation de toutes et de tous, un devoir de conscience, pour exiger que cessent les violences contre les femmes et que justice soit rendue. Il s'agit de la sauvegarde de l'Algérie mise en péril par une sauvagerie moyenâgeuse", conclut le communiqué.