C'est une campagne électorale singulière qui se déroule dans un contexte politique d'exception. Les candidats subissent une double épreuve, celle de convaincre mais aussi et surtout d'affronter le bloc du rejet du scrutin. Présentées par les autorités comme le rendez-vous incontournable, voire une étape cruciale, dans l'édification institutionnelle du pays, les élections législatives anticipées du 12 juin prochain risquent fort bien de connaître le même sort que les précédents scrutins, avec une abstention qui pourrait s'avérer, une fois de plus, très forte. Les causes sont multiples. À commencer par le contexte de crise politique inédite dans lequel se tiennent ces élections à l'effet repoussoir et loin de convaincre les Algériens de se rendre aux urnes le jour J. La banalisation des arrestations des manifestants du Hirak, la lourde chape de plomb qui pèse sur les libertés, le harcèlement des associations et de certains partis politiques sont d'évidence loin de plaider en faveur des promoteurs de ces élections, rejetées, par ailleurs, par tous les partis de l'opposition et une partie de la population qui s'est, à l'occasion, largement exprimée contre ce rendez-vous électoral, lors des manifestations pacifiques du Hirak, avant leur empêchement. "Difficile d'imaginer une issue heureuse d'un scrutin qui se tient dans une conjoncture aussi tendue qu'incertaine", commente ainsi le sociologue Rabeh Sebaa. Ces élections sont perçues, ajoute-t-il, comme un "affront", par la majorité des Algériens. "Mais aussi comme un entêtement, à effet démonstratif, d'un pouvoir qui entend, pour la énième fois, avoir le dernier mot", dit-il. Et la répression "acharnée du Hirak" à l'approche de ce scrutin, en est déjà, selon lui, une preuve éclatante. La désaffection est ainsi totale. "Dans leur grande majorité les Algériens considèrent ces élections, qui ont coûté plusieurs milliards, comme un gaspillage à la fois inutile et injurieux, dans ce contexte de crise économique et sanitaire qui a aggravé leur précarisation", analyse encore le sociologue. La désillusion des Algériens ne s'arrête pas là. Le spectacle, pour le moins burlesque, auquel les candidats à ces élections se sont livrés, pendant la campagne électorale, risque, à l'approche du vote, de servir de repoussoir et de dissuader les puristes. Depuis l'entame de cette campagne, le 17 mai, les Algériens auront eu, en effet, tout le loisir d'estimer et de peser le discours, mais surtout les sorties, pour le moins grotesques, de certains prétendants à l'hémicycle de Zighoud-Youcef. Sous la bannière de partis ou sur des listes indépendantes, les quelque 1 483 candidats ont eu toutes les peines du monde à construire un discours cohérant, à étaler leurs programmes — quand ils en ont un — et convaincre les Algériens. Et pour pallier leur manque d'imagination, certains partis et candidats, en mal de public, ont cru bon de surfer sur la vague populiste ou sur la fibre religieuse, le plus souvent dans des salles tristement désertes et boudées par la population. Par leurs sorties insolites, les candidats ont réussi, in fine, à faire parler d'eux, en provoquant l'hilarité des réseaux sociaux qui n'ont d'ailleurs pas manqué de tourner en dérision de nombreux prétendants. Toujours dans ce registre du grotesque un dirigeant du FNA, Belhadi Aïssa, a, lui aussi, défrayé la chronique en comparant, lors d'un meeting, les femmes candidates de son parti à des "fraises sélectionnées". Cette campagne sans consistance, sans public dans la plupart des meetings, a brillé, in fine, par son caractère "dédaigneux", affirme encore le sociologue Rabeh Sebaa. "Jamais désintérêt pour un scrutin n'a été aussi manifeste. Aussi étendu et aussi dédaigneux. Toutes catégories sociales confondues. Même le côté folklorique et hilarant, qui donnait quelque couleur vaudevillesque, à ce type d'empoignade a totalement déserté cette campagne électorale qui ressemble à un forcing." Pour lui, "le niveau d'indifférence qui a atteint son paroxysme est bien le signe de la lassitude du grand nombre face à ce type de campagne qui ressemble à un huis clos sartrien. Son déroulement maussade et de mauvais augure, laisse entrevoir d'ores et déjà, le futur funeste de son dénouement".