L'abstention tend à devenir un véritable moyen pour faire entendre la voix des mécontents. Un rejet qui, tout en se généralisant, prend la forme d'une expression de rejet politique massif. Désaveu ! Le taux d'abstention lors des dernières législatives anticipées du 12 juin a franchi un nouveau record pour atteindre plus de 70% au moins. Jamais dans l'histoire de l'Algérie indépendante, depuis l'ouverture démocratique, des élections législatives n'ont suscité autant de rejet. Moins de 30% seulement des Algériens, taux moyen et provisoire annoncé par le président de l'Autorité indépendante des élections (Anie), Mohamed Charfi, ont participé à cette échéance que d'aucuns qualifient déjà d'échec cuisant pour le pouvoir. Une surprise ? Pas tout à fait. Le raz-de-marée abstentionniste était tout à fait prévisible. Sociologues, politologues et observateurs de la scène politique algérienne ont prédit ce rejet massif des semaines avant même la tenue de ce scrutin. Si depuis longtemps déjà et traditionnellement, les Algériens, pour des raisons objectives, ont fait de l'abstention un moyen pour faire entendre leur voix et leur mécontentement, car il s'agit bien d'une expression politique qui ne manque pas de sens et de message à l'adresse des dirigeants, depuis ces deux dernières années, la tendance au boycott semble s'être frayé un large chemin et tend à se généraliser de plus en plus pour prendre une forme de rejet politique massif. Il s'agit, en effet, de la troisième élection organisée en moins de deux ans qui fait la part belle aux boycotteurs. L'élection présidentielle du 12 décembre 2019, tenue dans les conditions que l'on sait, avait déjà esquissé cette tendance au boycott massif. Pas moins de 60% d'Algériens ont fait le choix de bouder les urnes. Abdelmadjid Tebboune a été élu avec un score faible, moins de 5 millions de voix sur les 24 millions d'électeurs. Les conditions dans lesquelles s'est tenue cette élection, en plein mouvement de contestation populaire, ont influé de façon exceptionnelle sur les résultats. Le "Hirak", qui avait contraint l'ancien président de la République Abdelaziz Bouteflika à la démission, avait, en effet, rejeté catégoriquement cette élection, perçue alors comme un moyen de reproduire le "système" au pouvoir. Un peu moins d'une année plus tard, le 1er novembre 2021, le chef de l'Etat Abdelmadjid Tebboune a eu son référendum sur la Constitution, une promesse électorale. Mais ce fut une autre occasion pour les Algériens d'exprimer leur refus de cette élection qui a, une fois de plus, vu le camp des abstentionnistes s'élargir davantage. Seulement 23% des électeurs ont voté, ce qui constitue un revers cinglant pour un régime déjà désavoué par le Hirak. Encore ici, beaucoup ont vu dans ce boycott l'influence directe du mouvement populaire du 22 Février, bien que l'élection ait été tenue dans des conditions de crise sanitaire mettant en veilleuse les manifestations populaires. Avant leur empêchement le 15 mai dernier, les manifestations populaires continuaient d'exiger des changements profonds, clamant que la solution ne viendrait sans doute pas des élections législatives que le régime s'apprêtait à organiser. Passage en force Si les résultats officiels tardent encore à venir, l'abstention a marqué cette élection. Beaucoup d'Algériens ont opté, une autre fois, pour le boycott. L'ombre du Hirak a-t-elle plané sur les bureaux de vote ? Pour l'historien Hosni Kitouni, observateur aguerri de la scène politique, il n'est aucun doute que le Hirak a influé de façon profonde sur les résultats de ces élections, perçues, ajoute-t-il, "non pas comme une solution à la crise politique, mais comme un passage en force du pouvoir pour imposer une représentation par le haut et ravaler au plus vite sa façade d'illégitimité". Pour lui, si habituellement, l'abstention en Algérie est surtout motivée par le désintérêt ou la suspicion de fraude, "dans le cas de cette dernière élection, nous avons assisté à une vraie expression politique de rejet, pas seulement des candidats, mais de l'élection en elle-même". Les hirakiste, poursuit-il, sont restés massivement chez eux pour signifier au pouvoir que leur mouvement continuera, malgré la répression et les interdits. "La pression citoyenne, analyse-t-il, a, en outre, donné à l'abstention un surplus de légitimité. Ce n'est pas très bon pour la démocratie, mais comment faire autrement quand le pouvoir ferme toutes les voies de l'expression libre des citoyens ?" Comme une lame de fond, le Hirak a influencé jusqu'aux choix des partis politiques, avant l'élection. "Ceux qui ont refusé de participer aux élections l'ont fait en référence au Hirak. Le cas le plus significatif à cet égard est celui du FFS, dont la direction a dû s'incliner devant ses militants et renoncer à la dernière minute à rejoindre les participationnistes", rappelle Hosni Kitouni. Un succès, de ce point de vue, estime-t-il encore. "Ce succès hirakiste devrait aussi faire prendre conscience de la nécessité vitale pour le mouvement populaire de se redéployer politiquement en avançant vers un plus d'organisation et de propositions acceptables pour toutes les parties."