Ex-détenu du Hirak, le président du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ) revient, dans cet entretien, sur le bilan du Hirak, ses perspectives, mais également sur l'approche adoptée par le pouvoir pour dépasser la crise. S'il ne se montre pas hostile au dialogue, il soutient, en revanche, qu'il doit être précédé de préalables démocratiques. Liberté : Beaucoup de détenus d'opinion ont été libérés à la faveur de la grâce présidentielle. Comment réagissez-vous à ces libérations, vous qui avez été, également, un ex-détenu du Hirak ? Abdelouahab Fersaoui : Je ne peux que me réjouir de la libération des détenus d'opinion qui vont retrouver enfin leur liberté et leur famille après une incarcération arbitraire. C'est un soulagement pour tout le monde. Et à l'occasion, je salue la mobilisation, la solidarité populaire et les avocat(e)s. Reste, malheureusement, qu'il est question de grâce présidentielle, alors que les détenus sont innocents et incarcérés de manière arbitraire et illégale. Ce sont des poursuites qui ne devaient pas avoir lieu. Il s'agit d'une conséquence de la gestion sécuritaire prônée par le pouvoir pour gérer le Hirak. Ce qui est demandé, c'est l'acquittement, la réhabilitation et la réparation surtout morale et politique pour les détenus puisqu'ils ont été incarcérés pour leurs opinions. C'est même une atteinte grave à la liberté d'expression garantie déjà par la Constitution dans ses différentes versions et par les différentes conventions ratifiées par l'Algérie. Ces libérations font partie d'un certain nombre de mesures décidées par Abdelmadjid Tebboune. Comment avez-vous apprécié ces annonces ? Malheureusement, ce sont des annonces incomplètes et qui ne répondent pas aux aspirations du Hirak. Nous attendons la libération de tous les détenus au niveau national ainsi que leur acquittement et leur réhabilition car ils sont innocents. En outre, je rappelle que nous avons déjà vécu le même scénario le 2 janvier 2020 quand 76 détenus avaient été libérés le même jour. Mais cela n'a pas empêché l'arrestation d'autres hirakistes quelques jours plus tard. Concernant l'organisation, dans le contexte actuel, des élections législatives anticipées ou autres, cela ne peut constituer une solution à la crise profonde et structurelle que vit le pays. L'agenda électoral imposé par le pouvoir a déjà montré ses limites et les élections ne viennent que couronner un processus démocratique qui réhabilitera l'action politique, et garantir aux Algérien(e)s de s'organiser et de s'exprimer librement. Depuis le mouvement d'Octobre 1988, l'Algérie a organisé des dizaines d'élections à tous les niveaux, mais sans que cela apporte le changement souhaité. La démocratie ne se réduit pas seulement à l'acte de mettre un bulletin dans l'urne, c'est un exercice quotidien des libertés et des droits. Pour le remaniement du gouvernement, cela ne va rien changer, car aucun gouvernement ou aucun ministre ne pourra changer les choses sous ce système quand bien même serait-il animé de la meilleure volonté. Mais je crains que ce ne soit qu'une diversion à l'occasion du 2e anniversaire du Hirak. Justement, demain nous célébrons le deuxième anniversaire du Hirak. Quel regard portez-vous sur la situation et quel bilan en faites-vous ? La situation n'a malheureusement pas changé. Deux ans après, les raisons qui ont fait sortir des millions d'Algérien(e)s dans la rue sont toujours là avec une crise profonde et multidimensionnelle, une crise au triple plan : politique, économique et social. Sur le plan des libertés et des droits humains, on constate un recul énorme. Il y a également la fermeture du champ politique et médiatique ainsi que celle de l'espace public alors que les harcèlements policiers et judiciaires contre les militants et les hirakistes se sont multipliés. À cela s'ajoutent le chômage endémique et la dégradation du pouvoir d'achat. Le pouvoir a fait perdre au pays deux années et il continue dans son entêtement et sa politique du fait accompli en imposant, d'une manière unilatérale et antipopulaire, sa feuille de route basée sur l'organisation des élections malgré le rejet populaire comme cela a été le cas le 12 décembre et le 1er novembre 2020. Plus que jamais, le pouvoir doit se rendre compte de l'échec de son agenda. Et de cette manière, il mènera le pays droit dans le mur. Malgré les différentes tentatives de le diviser, de le normaliser et de le dévier de son objectif, le Hirak a montré qu'il était toujours vivant lors de la marche de Kherrata le 16 février dernier. C'est une marche qui reflète l'engagement et la détermination du peuple algérien à continuer sa lutte pacifique pour reconquérir sa liberté et récupérer sa souveraineté. Comment voyez-vous l'évolution de la situation ? Deux ans après l'irruption du mouvement populaire, chacun doit faire son bilan ; le pouvoir doit cesser son entêtement et écouter le peuple. Pour le Hirak, la prochaine étape est politique par excellence. La reprise des marches pacifiques est importante pour maintenir la pression, mais cela reste insuffisant. Avec la crise sociale, le peuple est en quête d'un horizon, c'est la raison pour laquelle nous devons donner un souffle nouveau et un prolongement politique aux manifestations populaires. Nous devons nous organiser, mais cela ne signifie pas pour autant qu'il faille structurer le Hirak. Le Hirak a libéré les Algériens et il leur a permis de renouer avec le politique comme on a pu le voir avec l'émergence de nouvelles figures de militants, de dynamiques et de mouvements importants. Il est indispensable, aujourd'hui, de jeter des passerelles et de créer les jonctions nécessaires entre les différentes dynamiques individuelles et collectives, au niveau national et avec la diaspora qui sont fidèles à l'esprit du Hirak pour capitaliser toutes ces énergies et travailler ensemble. Il est plus que jamais nécessaire de renforcer et d'organiser la mobilisation sur le terrain et de traduire ce consensus populaire dans la rue autour du changement de régime en un consensus politique et historique autour d'une feuille de route consensuelle contenant les principes et les mécanismes d'un processus démocratique et pacifique pour le changement du régime. C'est de cette manière que nous poserons les premiers jalons d'un Etat de démocratie et de droits à même d'imposer le changement au pouvoir qui joue sur la division, la discorde et le statu quo. Certains ont critiqué le FFS d'avoir accepté de rencontrer Tebboune. Ne pensez-vous pas que le dialogue peut être l'une des solutions qui s'imposent pour sortir de la crise surtout que la contestation populaire ne peut pas durer éternellement ? Pour être honnête, je ne vois pas comment on peut amorcer un véritable processus de changement pacifique du régime sans le dialogue ou la négociation. Mais le problème ne réside pas là, le pouvoir doit avoir une volonté politique réelle en garantissant les conditions favorables pour sa réussite. Le dialogue ce ne sont pas des rencontres bilatérales sans préalable et sans ordre du jour, ni objectif précis. Nous ne pouvons pas dialoguer dans un contexte où le champ politique et l'espace public sont fermés, le champ médiatique verrouillé et où les Algériens risquent la prison pour leurs opinions. S'il y a dialogue, il doit être souverain et avec les forces vives et crédibles de la société, aussi individuelles ou collectives soient-elles, qui portent haut et fort les aspirations du peuple algérien à la liberté et à la démocratie. Le dialogue doit porter sur le processus du changement pacifique et global du régime, pas sur une loi ou une élection.