Le Conseil national des experts architectes se sont récemment émus, dans un éloquent rapport, de l'abominable état architectural et urbain du pays. Ce faisant, ils viennent d'emprunter la voie de tous ceux qui ont concouru — c'est le cas de le dire ici — à la dégradation continue du pays, de son patrimoine et de son environnement. Après que le massacre est consommé, ses propres auteurs ou coauteurs crient parfois au scandale, histoire de se soustraire à leurs responsabilités. Le CNEA est constitué d'experts architectes. Qui furent d'abord des architectes. Et responsables de l'enseignement de l'architecture en Algérie. Malgré cette implication, le rapport du conseil se présente comme une mise en garde contre une politique, une non-politique comme partout ailleurs en fait, de construction qui ne mêlerait en rien les concepteurs même du bâti. Pourtant, ici comme ailleurs, il eut fallu la compromission constante et massive des professionnels de l'architecture pour que ces zones, pas toujours urbanisables, puissent ainsi être “urbanisées” dans un tel désordre. L'urbanisation, l'industrialisation et l'équipement du pays sont réalisés dans une insouciance et avec une maladresse telles que le paysage national s'en trouve entièrement souillé et plongé dans un état de pollution visuelle et environnementale irrattrapable. Les concepteurs du bâtiment eux-mêmes maintiennent un des fondements du tout-béton et de l'exploitation extensive du foncier en perpétuant le système de rémunération anti-urbanistique au pourcentage de la surface bâtie ! Le potentiel du pays, tangible — comme le parc patrimonial et foncier — ou intangible — comme les règles de construction et les valeurs civiques — a été sacrifié dans un étonnant consensus national. La gestion mafieuse des institutions avait besoin d'une connivence technique pour la mise en œuvre de la médiocrité dévastatrice. La désinvolture des dirigeants politiques entièrement orientés vers le souci de partage de la rente. Ce système était basé sur la solidarité entre la classe dirigeante, qui était une classe au sens social du terme, et la classe des cadres. Les premiers pouvaient se servir ; les seconds pouvaient souscrire à des avantages de moindre rang et s'extraire de la situation générale de privation. D'autant plus que la collusion consistait juste à mettre en œuvre les programmes les plus incohérents et se retenir de toute contestation même technique des grandes “tâches d'édification nationale”. Pendant ce temps, le peuple était invité à patienter en faisant la queue pour une vie “socialiste”, puis “pour une vie meilleure”. Maintenant que la classe moyenne se rend enfin compte que la “classe affaires” est plus proche de la “classe économique” que de la “première classe”, il nous arrive de lire quelques révoltes. Trop tard : depuis la tragédie de Boumerdès, au moins, tout le monde sait que nos villes sont mal construites et surtout mal conçues. On le sait depuis Bab El-Oued : on a même dégradé ce qui était bien construit. Le mal est fait. M. H.