"Il est incompréhensible que le rendement moyen des céréales irriguées ne soit que de 40 quintaux à l'hectare en Algérie, lorsqu'il est de 65 quintaux en Egypte", alerte Ali Daoudi, professeur à l'Ecole nationale supérieure d'agronomie. Desservie par des conditions climatiques très défavorables et prise dans une spirale de contre-performances, la production céréalière nationale risque de connaître une baisse significative cette année. Les résultats des différentes analyses, les divers constats établis par les spécialistes et les avis des acteurs de cette filière convergent tous vers une réduction considérable des quantités produites pour l'année en cours. Les adhérents de l'Union nationale des paysans algériens (UNPA) avancent une diminution de 40% du rendement global de la céréaliculture algérienne. L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) prévoit, quant à elle, un recul de 38% de la récolte céréalière en Algérie en 2021 par rapport à l'année précédente. Cette tendance baissière de la production des céréales est considérée comme évidente par les responsables concernés au ministère de l'Agriculture et du Développement rural (Madr). Même si les chiffres ne sont pas encore consolidés, tout porte à croire que l'impact de la faible pluviométrie, qui a caractérisé notre pays ces derniers mois, sera fatal pour le rendement des superficies préparées pour cette culture et, par ricochet, sur la contribution du secteur agricole dans le produit intérieur brut (PIB). C'est tout le dispositif mis en place pour la sécurité alimentaire qui risque, de ce fait, d'être ébranlé. Et l'on finira par recourir encore plus aux importations de céréales, notamment du blé dur et tendre, pour répondre à la demande du marché national sans cesse en augmentation. La FAO parle carrément d'une hausse qui devrait atteindre 25% des importations de céréales par rapport à l'année passée et de 7% au-dessus de la moyenne durant la saison de commercialisation 2021-2022. "La récolte des céréales d'hiver 2021 devrait être terminée d'ici à la mi-août. Les rendements céréaliers sont très variables et dépendent de la quantité et de la répartition des précipitations. Les céréales ont été semées dans des conditions climatiques favorables. Cependant, à la mi-février 2021, la sécheresse sévissait dans la plupart des zones de culture après des précipitations inférieures à la moyenne depuis la mi-janvier", relève l'organisation onusienne dans une note publiée tout récemment. Dépendance à l'importation La "production de blé devrait être légèrement inférieure à la moyenne de 2,5 millions de tonnes", constate la FAO. "La production totale de céréales en 2021 est estimée à 3,5 millions de tonnes, ce qui est inférieur à la moyenne quinquennale et environ 38% de moins que l'année précédente", relève la même source. C'est dire que les différents gouvernements qui se sont succédé n'ont pu améliorer la situation de cette filière qualifiée, pourtant, de stratégique pour l'économie nationale. Preuve en est que l'Algérie figure toujours parmi les plus grands pays importateurs de blé au monde. Elle est le troisième importateur de blé tendre à l'échelle de la planète. Le ministère de l'Agriculture suit de près, pour sa part, l'évolution de cette filière tout en reconnaissant la propension à la baisse de la production des céréales pour l'année en cours. Conscient de l'inclémence du climat sur le pays et de la dépendance de celui-ci vis-à-vis de l'étranger, le département d'Abdelhamid Hamdani se rabat, toutefois, sur l'accompagnement des agriculteurs et les avantages qu'il peut leur assurer, afin qu'ils puissent continuer à exercer leur métier en dépit de toutes ces difficultés. La tutelle vient de prendre une série de mesures à même de faciliter la tâche aux fellahs. L'on peut citer celle liée à la suppression du prix de référence et la révision à la hausse du soutien pour l'achat des équipements d'irrigation. "Il suffit à l'agriculteur de présenter une facture pro forma pour bénéficier d'un soutien de 50% sur l'achat de son équipement", nous explique un responsable au ministère de l'Agriculture. Pour la réalisation de forages, le demandeur aura l'autorisation dans un délai ne dépassant pas les 15 jours, conformément à une instruction interministérielle entre l'Agriculture, les Ressources en eau, l'Intérieur et les Collectivités locales, indique notre source. Outre les campagnes de sensibilisation à l'adresse des exploitants agricoles et les regroupements régionaux, le ministère, ajoute ce responsable, veut élargir les superficies irriguées et aller au-delà des 158 000 hectares. Au ministère, l'on accorde aussi un intérêt important à la numérisation du système et à l'installation d'une banque de données dynamique, permettant de suivre les activités des exploitations à distance avec toutes les coordonnées de leurs gérants. Dysfonctionnements structurels Aux victimes de la sècheresse qui ont subi des pertes... sèches, il a été décidé un "rééchelonnement de leurs dettes en collaboration avec la Banque algérienne de l'agriculture et du développement rural (Badr). Ce qui leur donne la chance de contracter un autre crédit pour la nouvelle campagne", affirme notre interlocuteur. "La forte dépendance de la céréaliculture aux conditions climatiques explique la forte fluctuation de la production et des rendements d'une année à l'autre. Chaque année, 30 à 35% des superficies emblavées ne sont pas récoltées à cause, principalement, de la perte des cultures sous l'effet de la sècheresse. Les rendements moyens varient en fonction des niveaux de précipitation, entre 12 et 20 quintaux à l'hectare ; le rendement moyen des cinq dernières années est de 17 quintaux pour le blé dur et de 13 quintaux pour le blé tendre", explique Ali Daoudi, professeur à l'Ecole nationale supérieure d'agronomie d'Alger. La production moyenne des blés pour la même période est de 3,3 millions de tonnes, soit 40% des besoins du pays ; le reste étant importé, précise cet expert. Le déficit de la production nationale ne concerne pas seulement les céréales alimentaires, la production de céréales fourragères aussi est insuffisante par rapport aux besoins importants des filières d'élevage (bovin, ovin et avicole), détaille-t-il. Cela étant, le climat n'explique pas toutes les contre-performances de la filière céréalière car les problèmes structurels et les dysfonctionnements ont également un impact négatif sur ce créneau. Il s'agit, pour le Pr Daoudi, surtout des problèmes internes aux exploitations agricoles céréalières (faible taille de l'exploitation, indisponibilité d'équipements agricoles appropriés, faible niveau de maîtrise technique, etc.), des dysfonctionnements des marchés (crédit, assurances, intrants, conseil technique, etc.) et des insuffisances des mesures publiques d'appui et d'encadrement. "Il est incompréhensible que le rendement moyen des céréales irriguées ne soit que de 40 quintaux à l'hectare, lorsqu'il est de 65 quintaux en Egypte", remarque-t-il. Face à cette situation, la filière doit, selon lui, bénéficier de réformes à travers une stratégie qui a pour fondement la stabilité de la production de céréales par l'augmentation de la superficie irriguée et l'amélioration de la productivité globale, notamment celles des terres irriguées. Avec 500 000 hectares irrigués parfaitement encadrés, l'Algérie peut sécuriser 3 millions de tonnes chaque année. Badreddine KHRIS