Invoquant la légitimité et la volonté populaire, le président tunisien maintient le cap et continue d'accabler une opposition qui dénonce, quant à elle, un coup d'Etat institutionnel. Une imposante manifestation, qui a réuni plus de deux mille personnes, a eu lieu hier après-midi à Tunis pour dénoncer ce que certains qualifient de "coup d'Etat" de la part du président tunisiens Kaïes Saïed, qui tarde à nommer un Premier ministre et refuse de lever le gel sur le Parlement, dominé par les islamistes d'Ennahdha de Rached Ghannouchi. Les manifestants se sont rassemblés devant le théâtre municipal, à l'avenue Habib-Bourguiba, en réaction aux dernières "mesures exceptionnelles" que M. Saïed a promulguées mercredi dernier, dans la prolongation de l'"Etat d'exception" qu'il a instauré le 25 juillet dernier, après avoir limogé le gouvernement de Hicham Mechichi et suspendu le Parlement, qu'il accuse d'être derrière le blocage politique et économique du pays. En effet, le président tunisien a décidé de légiférer par décrets, ce qui suspend de facto certaines dispositions de l'actuelle Constitution, qu'il songe amender pour instaurer un régime présidentiel. "Les textes législatifs sont pris sous forme de décrets-lois et promulgués par le président de la République", stipule l'un des articles décidés par M. Saïed et publiés dans le Journal officiel mercredi. "Le président exerce le pouvoir exécutif avec l'aide d'un Conseil des ministres, dirigé par un chef du gouvernement", énonce encore le texte du décret, ajoutant que "le président de la République préside le Conseil des ministres et peut déléguer sa présidence au chef du gouvernement". Ces mesures ont provoqué la colère des partis de l'opposition et des organisations de la société civile, qui craignent un retour à l'ère Ben Ali. Samedi, 18 organisations non gouvernementales tunisiennes et internationales ont dénoncé la mainmise de Kaïes Saïed sur le pouvoir, la qualifiant de "dérive sans précédent", alors que le Département d'Etat américain a demandé au président tunisien de nommer le plus rapidement possible un nouveau Premier ministre, pour désamorcer une crise politique qui risque de tourner à l'affrontement sur le terrain, a déjà averti la puissante centrale syndicale l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT). "Le décret présidentiel 117 (pris mercredi) abroge implicitement l'ordre constitutionnel en Tunisie", avait écrit les 18 signataires d'un communiqué, dont Amnesty International section Tunisie, l'Organisation mondiale de lutte contre la torture (OMCT) ou l'Association tunisienne de Défense des libertés individuelles. Ces ONG estiment que ce décret marque un "tournant (qui) menace les droits humains et les aspirations démocratiques du peuple tunisien". Après plus de six mois de crise politique, qui a paralysé le pays, les rivalités personnelles et partisanes ont fini par faire éclater la colère des Tunisiens qui ont commencé à manifester dans plusieurs villes tunisiennes, alors que la pandémie du coronavirus continuait à faire de ravages dans ce pays. Devant une situation politique intenable, le président a pris des mesures radicales et ne semble pas prêt à faire machine arrière, malgré la pression qui continue de monter, mettant face à face ses partisans et ses opposants. Dans une réaction de l'UGGT, il y a quelques jours, la puissante centrale syndicale a appelé Kaïes Saïed à convoquer de nouvelles élections législatives, mais son appel demeure inaudible jusque-là.