L'urgence, aux yeux des démocrates, est de barrer le chemin au rouleau compresseur du pouvoir dont la volonté de normaliser le pays, aidé en cela par une foule d'opportunistes, est de notoriété publique. Haut lieu d'histoire, berceau des luttes démocratiques, la Kabylie, cette région “rebelle”, en contestation permanente contre le pouvoir central s'apprête à vivre dans un peu moins d'un mois un événement inédit : des élections partielles pour le renouvellement de ses structures locales. Des élections dont il convient sans doute de rappeler qu'elles ont été rejetées massivement par la population en 2002, mais que le pouvoir avait validées par le truchement de son ministre de la Justice, aujourd'hui à… la tête du gouvernement. Objet d'un apparent compromis entre le gouvernement et des animateurs du mouvement des archs, dont la dissolution des assemblées locales a figuré parmi leurs revendications, ces élections, loin cependant d'avoir livré le secret de leur finalité, suscitent d'ores et déjà une certaine effervescence chez la classe politique, toutes tendances confondues. Et à quelques jours seulement de l'ouverture officielle de la campagne électorale, des partis, notamment les plus implantés dans la région comme le FFS et le RCD, d'une part, et les autres partis de la coalition comme le MSP, le RND et le FLN ou encore le PT et les indépendants, d'autre part, s'activent en perspective de ce rendez-vous. Une fébrilité que rien n'explique, a priori, d'autant que la durée du mandat des futurs élus ne dépassera pas 18 mois, les élections générales étant prévues pour 2007. Sur un autre plan, les prérogatives limitées des élus, consignées dans le code communal en attente d'un hypothétique amendement, ne sont pas de nature à encourager les plus volontaires des candidats. Qu'est-ce qui fait donc courir les partis politiques notamment démocrates, réduits jusque-là au silence par la machine de l'administration et des médias lourds ? À vrai dire l'enjeu dépasse de loin la simple figuration dans une assemblée, fut-elle de province, même s'il est vrai que le pouvoir local n'est pas des moindres. Un début de réponse se trouve peut-être dans cette déclaration signée par Ali Yahia Abdenour et d'autres militants des droits de l'Homme, lesquels ont pris l'initiative de rassembler les démocrates en proie à des divergences depuis de longues années. “(…) Dans d'autres conditions, le critère de bonne gestion doit retenir l'attention des électeurs pour arrêter leurs positions, ces derniers ne sauraient perdre de vue que pour cette occasion, le vote politique doit l'emporter pour confirmer le refus des thèses césaristes et totalitaires du pouvoir qui multiplie les procédés aussi vils que mesquins pour caporaliser la Kabylie et réduire la contestation en échange de subsides grassement octroyés à ses relais locaux.” L'urgence donc, aux yeux des démocrates, est de barrer le chemin au rouleau compresseur du pouvoir dont la volonté de normaliser le pays, aidé en cela par une foule d'opportunistes, est de notoriété publique. Assis confortablement sur un matelas financier, le pouvoir entend, à travers ses démembrements représentés par l'administration, les partis de l'alliance et sa clientèle, reprendre sa mainmise sur une région de laquelle il a été “excommunié” depuis pratiquement les premières élections pluralistes de 1990. Lassée par trois années de bras de fer sanglant, ruinée économiquement, la Kabylie constitue aujourd'hui donc la seule aire qui reste à être “soumise”. Face à cette perspective, le RCD et le FFS ont décidé d'enterrer leur hache de guerre et de peser de tout leur poids dans la balance. Chacun de son côté multiplie les sorties sur le terrain depuis quelque temps déjà pour sensibiliser la population sur le “danger” de voir le pouvoir local tomber entre les mains des forces conservatrices et de la rente. “Il faut éviter le bradage de la Kabylie”, disent-ils. Il est vrai qu'il y va de l'avenir démocratique d'une région, mais au-delà de tout un pays. Incontestablement, les grandes manœuvres ont bel et bien commencé. KARIM KEBIR