Dans cet entretien, ce diplômé d'université américaine, situe les risques que fait peser l'accord sur l'économie nationale et suggère une série de mesures à même d'aboutir à une plus grande résistance de l'appareil de production à l'ouverture plus large du marché. Liberté : Deux mois après l'entrée en vigueur de l'accord d'association, quel premier bilan peut-on en tirer ? Pr Lamiri : Il est vraiment très tôt pour tirer un bilan. Les premières mesures concernent les biens intermédiaires et non les produits finis. Normalement l'effet serait déflationniste (baisse des prix) avec un manque à gagner pour l'Etat. Beaucoup de gens critiquent injustement cet accord. En premier lieu, politiquement l'Algérie n'a pas d'autres alternatives, sauf s'isoler dangereusement politiquement et économiquement. En second lieu, la plupart des analystes considèrent que nous aurions dû gagner plus de temps. N'oublions pas que les réformes économiques datent de plus de vingt ans. Nous avons toujours gaspillé du temps lorsqu'il était disponible. La plupart des mesures prises ont été imposées par le contexte international (libéralisation des prix, du commerce international et autre). Les systèmes sclérosés ont besoin de chocs extérieurs pour évoluer. Pour le moment, les effets sont surtout psychologiques. Une sorte de panique économique s'est instaurée. Pourtant les exemples tunisiens et marocains doivent nous inciter à plus de discernement. Le manque à gagner est amplement compensé par la manne pétrolière. Il n'y a pas de conséquences négatives majeures à présent. Mais pour le futur ce sera différent. Quels sont les effets négatifs de cet accord ? Il y a toujours des éléments négatifs liés à la nature de l'accord. Les représentants des entreprises et les professionnels n'ont pas été associés aux négociations. Il contient plusieurs déséquilibres. Les obligations de l'Algérie sont très vérifiables et même quantifiables. Le calendrier d'ouverture est très précis même si l'on peut renégocier certaines facettes. Les obligations européennes sont vagues du genre : aider, assister, collaborer. Il n'y a pas une obligation quantitative. On peut toujours évaluer la conformité de l'Algérie avec ces accords mais pas celle de l'Union européenne pour les activités essentielles qui intéressent l'Algérie. En ce sens il est déséquilibré. Quels sont les effets positifs de l'arrangement? Ils sont nombreux. Le choc produit forcera les entreprises à améliorer leur management. Il y a trois types de pression qui obligent les entreprises à améliorer leur mode de gestion : la concurrence et la faillite ; les assemblées générales des véritables propriétaires et les cotations boursières. La pression concurrentielle sera terrible. Elle forcera les entreprises algériennes à moderniser leur management ou disparaître. Les entreprises et l'économie ne peuvent pas être concurrentielles sans cette pression de faire faillite. Il ne faut pas s'étonner de voir disparaître 100 000 PME et micro-entreprises. Le processus Schumpeterien de création destruction jouera pleinement. Avec un accompagnement efficace nous gagnerons plus en efficacité et en création de nouvelles entreprises. Nos économistes ont tord de focaliser leur attention sur le taux de croissance qui serait cette année de plus de 5% après avoir atteint 6,8 %. Car c'est une croissance extensive (due à l'injection de ressources des hydrocarbures dans le tissu économique). Les véritables indicateurs de l'économie algérienne doivent être les exportations hors hydrocarbures et le taux d'utilisation des capacités. Le fait que les importations aient augmenté de plus de 40 % ces dernières années alors que les exportations hors hydrocarbures n'ont pas suivi ce rythme est une indication que notre productivité s'améliore beaucoup moins que celle du reste du monde. Il y a de quoi être inquiet pour l'après-pétrole. Nous avons besoin de chocs extérieurs pour nous réveiller. Il ne faut pas nier l'avancée faite dans le domaine des privatisations ces derniers mois. Quelles que soient les critiques que l'on peut faire, on a réussi à débloquer le statut quo dans le domaine. Mais la productivité demeure de talon d'Achille de l'économie algérienne. On continue à débattre de la question salariale mais personne, ni l'UGTA ni le gouvernement, ne nous a fourni des données sur la productivité hors hydrocarbures. Comment peut-on discuter des salaires sur le seul critère des prix à l'exclusion de la productivité ?. Que préconisez-vous comme mesures pour atténuer l'impact négatif de l'accord ? Elles sont nombreuses. Je ne peux qu'évoquer succinctement les plus importantes : 1- Mobiliser la meilleure intelligence algérienne pour concevoir une stratégie qui vise à réaliser les objectifs politiques des décideurs élus. 2- Clarifier les politiques sectorielles suite à des concertations intenses et allouer les ressources en conséquence. 3- Orienter le maximum de ressources pour la densification du tissu PME et des microentreprises. 4- Investir davantage dans la qualification qualitative des ressources humaines. 5. Privatiser pour moderniser rapidement le secteur bancaire. Les banques de l'Etat doivent financer les activités stratégiques et non l'importation. 6- Accélérer la réforme administrative et les systèmes de taxation et d'information économique selon les principes du management moderne. 7- Préparer les compétences au niveau local et orienter la politique vers un développement plus décentralisé (leçons de l'expérience chinoise). Il est évident qu'ont ne peut pas fournir le mode opératoire et l'ordonnancement des actions dans ce contexte. Il faut savoir que cela est possible et faisable. Faute de le faire, nous perdrions des dizaines de milliers d'entreprises et encore plus d'emplois. Nos décideurs ne comprennent peut-être pas pourquoi malgré toutes les bonnes volontés, les efforts et les ressources injectées, l'économie répond mal. Nous avons besoin d'injecter des doses massives de management pour transformer toutes nos institutions en entités efficaces : les entreprises, les administrations, les universités, les wilayas… ont besoin d'un management différent. Le management est la ressource des ressources. Son absence induit des performances dérisoires quelles que soient les politiques macroéconomiques menées. Nos multiples diagnostics confirment que c'est là où réside le mal de l'Algérie. Si le management n'est pas modernisé, nous allons vivre une période de croissance et d'euphorie artificielle pour connaître de sévères crises dans le futur. Mais dès lors que l'on modernise notre management, il n'y a pas de quoi avoir peur de l'Europe. L'entreprise tunisienne Poulina est probablement l'entreprise maghrébine la mieux gérée. Les Algériens gagneraient beaucoup à être modestes et analyser ces pratiques. M. R. (*) Nous avons tenté d'ouvrir un débat objectif et serein sur l'impact de l'accord d'association conclu entre l'Algérie et l'Union européenne à travers ces entretiens avec des experts, en leur soumettant le meme questionnaire pour recueillir une diversité de points de vue afin d'éclairer au mieux l'opinion publique sur les enjeux du dossier.