Il y a cinq ans s'éteignait la voix d'Amar Ezzahi, un monument de la musique algérienne qui aura hissé le chaâbi à des sommets musicaux et spirituels en incarnant pendant cinquante ans l'esprit et la lettre d'un art populaire auquel il voua, loin des projecteurs, toute son existence. Disparu le 30 novembre 2016, "Cheikh Leblad", comme l'ont surnommé ses innombrables fans, aura légué une œuvre musicale impressionnante de richesse et composée essentiellement d'enregistrements de fêtes familiales qu'il avait choisi d'animer exclusivement depuis sa dernière apparition sur scène, en 1987. De la chansonnette avec laquelle il débute sa carrière dans les années 1960 en interprétant les textes du compositeur Mahboub Bati, jusqu'aux pièces du melhoun (poésie populaire) dont il exhume les trésors, en passant par l'andalou, Ezzahi aura imposé un style fait d'improvisations, de virtuosité musicale et d'interprétation qui lui vaudra le surnom de "Soltane Lehwa" (Roi des airs musicaux). Cette aisance avec les changements de rythme et de mode, mais aussi dans l'interprétation, lui a été inspirée par ceux qu'il considérait lui-même comme des mentors, avec lesquels il a beaucoup collaboré et appris : Boudjemâa El-Ankis, Mahboub Bati et Mohamed El-Badji. "Soltane Lehwa" aura surtout contribué à ouvrir le chaâbi sur d'autres genres. Musique classique, bandes originales de film et même variété française font leur apparition dans ses morceaux avec une sonorité locale. Dans un des rares entretiens accordés au regretté Hamid Kechad de la Radio algérienne à la fin des années 1980, Amar Ezzahi avait fait part de son goût prononcé pour la musique andalouse et la musique classique universelle, des genres qu'il a réussi à intégrer harmonieusement à sa propre vision du chaâbi, appuyé par des textes, parfois rares, de grands poètes du Maghreb. De grands noms de la musique chaâbi, à l'image de Mehdi Tamache, d'Abderrahmane El-Kobi, d'Abdelkader Chaou ou encore de Kamel Fardjallah, considèrent Amar Ezzahi comme un artiste qui a sublimé les bases de ce genre tout en restant modeste et populaire. Chanteur et ancien élève d'El-Hadj M'hamed El-Anka, Kamel Fardjallah, également enseignant de musique, a évoqué un artiste qui a "sacrifié sa vie pour son art, telle une bougie qui s'est consumée pour éclairer son public". Il lui reconnaît également le mérite d'avoir "développé et sublimé les bases du chaâbi" et d'avoir réhabilité un grand nombre de vieux qcid oubliés. H'ssicen Saâdi, qui avait longtemps travaillé avec Amar Ezzahi en duo, estime que l'artiste avait apporté "plus de vitalité" à la chanson chaâbi, tout en restant disponible et modeste, "incarnant jusqu'à son dernier souffle l'image de l'artiste digne". Considéré comme un des maîtres de la chanson populaire algéroise, Amar Ezzahi – Amar Aït Zaï de son vrai nom – a débuté sa carrière à la fin des années 1960 en s'inspirant du style d'un autre grand interprète, Boudjemâa El-Ankis (1927-2015). Réputé pour sa discrétion, l'artiste a animé pendant près de cinquante ans des fêtes familiales. Sa dernière apparition sur scène remonte à 1987 à Alger lors d'un concert à la salle Ibn-Khaldoun. Si sa discographie officielle se limite à une cassette et à quelques vinyles, ses cinquante ans de carrière sont disponibles en quelques clics : l'œuvre de la légende du chaâbi est compilée par une nouvelle génération de fans qui s'en sont emparés pour la diffuser sur Internet.