Personnalité n La nouvelle est tombée hier en fin d'après-midi. Amar Ezzahi, considéré comme le maître de la chanson châabi, est décédé hier à l'âge de 75 à son domicile à Alger. Pour rappel, l'artiste, au long parcours musical, avait été hospitalisé en septembre dernier à Alger pour un malaise. Il était en attente d'être transféré dans un établissement hospitalier spécialisé à l'étranger, selon le ministre de la Culture Azzedine Mihoubi. Selon son entourage, il va être inhumé jeudi après-midi au cimetière d'El Kettar à Alger près du plus illustre interprète algérois, Hadj M'hamed el Anka, décédé en 1978. Une prière des morts sera célébrée dans une mosquée située près de la Casbah. Amar Aït Zaï de son vrai nom, l'artiste, qui a débuté sa carrière à la fin des années 1960 en s'inspirant du style d'un autre grand interprète, Boudjemâa El Ankis (1927-2015), était réputé pour sa discrétion. D'ailleurs sa dernière apparition sur scène remonte à 1987 à Alger lors d'un concert à la salle Ibn-Khaldoun. En effet, l'artiste a mené une vie d'ascète : il n'était pas marié, n'avait pas d'enfant et a toujours refusé d'encaisser ses droits d'auteurs. Il fuyait les médias et les salles de concerts, ne chantant qu'en cercle intime durant les fêtes. Les cafés et les terrasses des maisons étaient sa scène préférée. «Il était dans un détachement absolu des choses matérielles de la vie», témoigne un des rares journalistes à l'avoir connu, Noureddine Khelassi. «Il était voué au bonheur des siens à travers son art», ajoute le chroniqueur du quotidien La Tribune. De l'avis de tous, de l'ancienne comme de la nouvelle génération, Amar Ezzahi, qui a passé la majeure partie de sa vie près de la vieille ville d'Alger où il était arrivé très jeune, après sa naissance dans un village de Kabylie en 1941, s'impose comme la plus grande figure du châabi. Son répertoire compte des dizaines de chansons enregistrées à partir de 1963. Des fans les ont regroupées sur internet au moment où sa santé déclinait ces dernières années. A l'annonce de sa disparition, les réactions n'ont pas tardé à se manifester. C'est ainsi que des artistes et hommes de culture ont salué la mémoire de Amar Ezzahi qu'ils qualifient tous d'«artiste exceptionnel»et d'«homme aux qualités humaines» avérées. Abdelkader Chaou, qui appartient à la même génération d'interprètes du châabi que le défunt, déplore la disparition d'un «immense artiste qui avait atteint le niveau du chercheur». «Il a contribué activement à l'essor et la popularité de la chanson châabi à travers toute l'Algérie», dit-il, et d'ajouter : «Ses reprises des musiques des variétés occidentales, voire de la musique universelle, dans une version châabi, a façonné le style d'Amar Ezzahi.» De son côté, Abderrahmane El Kobi, un autre chanteur châabi, appartenant également de la génération de l'artiste disparu, se dit «très affecté par la disparition de Amar Ezzahi». «Il est un homme exceptionnel, doublé d'un grand artiste dont la disparition est une grande perte pour la musique châabi et la culture algérienne», confie-t-il. Quant à Aziouez Raïs, un ami proche d'Amar Ezzahi, aussi chanteur châabi, regrette avoir perdu en lui «une référence et un maître», en plus d'un «ami de 30 ans et (un) frère». Pour sa part, le président du Conseil des arts et des lettres, Abdelkader Bendâameche, a salué un des «artistes les plus en vue» de la chanson châabi qui a marqué la chanson et la culture algérienne, en tant qu'artiste et en tant qu'homme, par son «style raffiné», sa «modestie» et sa «sensibilité». Yacine Idjer l L'annonce de son décès a immédiatement couru sur les réseaux sociaux et faisait l'ouverture des journaux télévisés. Des centaines de fans se sont rassemblés devant son domicile où s'est rendu le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi. Des fans de tous âges venant de différents quartiers d'Alger et d'autres villes ont afflué au domicile de l'artiste, situé dans le quartier de la Rampe Arezki-Louni (Bab El Oued), pour rendre hommage à cette figure de la chanson châabi. Quelques centaines d'admirateurs anonymes et de nombreux musiciens et chanteurs de châabi continuaient d'occuper jusqu'à très tard dans la soirée la chaussée à proximité du domicile du défunt. L'accès à l'immeuble où vivait Amar Ezzahi était filtré en raison de la vétusté de ce dernier, une veille bâtisse de trois étages, ont expliqué des voisins du défunt qui ont fini par permettre aux admirateurs, venus parfois de très loin, d'entrer par petits groupes pour jeter un dernier regard sur la dépouille de leur idole. Sur les réseaux sociaux, l'annonce de la disparition d'Amar Ezzahi a également suscité de nombreuses réactions attristées. Des admirateurs de Amar Ezzahi ont ainsi rendu hommage à l'artiste en partageant des enre-gistrements de fêtes familiales, numérisées par ses fans qui ont également tenu, à travers la toile, à rendre un vibrant hommage à la modestie de l'icône de la chanson populaire algéroise. Y. I. Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika a indiqué que l'Algérie perdait en Amar Ezzahi «une icône de la chanson chaabie et un talentueux créateur qui a passé sa vie au service du patrimoine musical national et qui a légué au champ culturel des chansons éternelles». «J'ai appris avec affliction le décès d'Amar Ezzahi, une icône de la chanson chaabie et un talentueux créateur qui a passé sa vie au service du patrimoine musical national et qui a légué au champ culturel des chansons éternelles», a écrit le Chef de l'Etat dans un message de condoléances à la famille de l'artiste. «La communauté artistique et tous ses fans continueront pendant très longtemps de fredonner ses chansons», a écrit le Chef de l'Etat dans son message rappelant que le défunt était de «cette élite d'artistes pionniers dans leur genre qui ont gratifié leur public d'une œuvre mémorable et enrichi la scène artistique nationale d'un patrimoine de chansons reflétant un goût raffiné». «Ezzahi nous quitte mais son œuvre, éternelle, ne cessera de marquer l'histoire de l'art et les générations montantes», a ajouté le président de la République. De son côté, le ministre de la Culture Azzedine Mihoubi a qualifié Amar Ezzahi d'«artiste légendaire» et d'un «grand symbole de la musique algérienne». Dans un message de condoléances à la famille de l'artiste, le ministre de la Culture a exprimé «sa profonde tristesse» suite à la perte d'un «symbole» et d'un «monument» de la scène artistique algérienne, qui «avait fait la gloire» de la chanson châabi, un art sorti des milieux populaires. Azzedine Mihoubi a salué la mémoire d'un artiste qui aura laissé un «legs important aux futures générations d'amoureux de la chanson châabi». Y. I. Amar Ezzahi Le génie musical qui a incarné le chaâbi Contribution n Amar Ezzahi aura surtout contribué à ouvrir le chaâbi sur d'autres genres. Si El Hadj M'hamed El Anka a fait du chaâbi un genre à part entière, Amar Ezzahi, lui, l'a hissé à des sommets musicaux et spirituels en incarnant pendant cinquante ans, l'esprit et la lettre d'un art populaire auquel il voua, loin des projecteurs, toute son existence. «Cheikh Leblad» comme l'ont surnommé ses innombrables fans, lègue une œuvre musicale impressionnante de richesse et composée essentiellement d'enregistrements de fêtes familiales qu'il avait choisi d'animer exclusivement depuis sa dernière apparition sur scène, en 1987. De la chansonnette avec laquelle il débute sa carrière dans les années 1960 en interprétant les textes du compositeur Mahboub Bati, jusqu'aux pièces du Melhoun (poésie populaire) dont il exhume les trésors, en passant par l'andalou, Ezzahi aura imposé un style fait d'improvisations, de virtuosité musicale et d'interprétation profondément nourrie du mysticisme des troubadours maghrébins qu'il a célébrés. Cette touche unique qui lui vaudra le surnom de «Soltane Lehwa» (Roi des airs musicaux), l'artiste l'a aussi imposée grâce à ses enchaînements entre les Qsid (poèmes) durant les longues soirées de fêtes : capable de changer de registre, de rythme ou de mode en quelques notes, il a contribué, de l'avis des connaisseurs, à casser la monotonie du chaâbi. Cette liberté s'est aussi exprimée dans ses mélanges improbable d'airs et de textes, à l'exemple de sa célèbre interprétation de «Esmaâ Noussik Ya Insane», un poème-testament du grand Abdelaziz El Maghraoui (Maroc, XVIe siècle) sur un air de Mohamed El Badji (1933-2003) dont il avait, par ailleurs, interprété avec brio les plus grandes chansons. Amar Ezzahi aura surtout contribué à ouvrir le chaâbi sur d'autres genres : musique classique, bande originale de film et même variété française font leur apparition dans ses morceaux et acquièrent, sous les riffs délicats de la mandole du maître, une sonorité locale. L'ampleur de la recherche musicale de l'artiste n'est explicable qu'au regard de la vie retirée qu'il avait choisi de mener. Une existence entièrement consacrée au perfectionnement de son art. Lui qui se définissait comme «un petit chanteur populaire», aura ainsi fait siennes, jusqu'à les incarner, les valeurs de modestie, de conscience de sa propre petitesse devant l'immensité de la création, portées par les poèmes soufis de Benmsayeb, Bensahla et d'autres auteurs. Il aura, aussi, incarné, pour les plus âgés tout comme pour les jeunes, le sens profond du chaâbi né dans les années 1940 et des souffrances des Algériens durant la colonisa-tion : un art des pauvres dont il fut proche et une musique des quartiers populaires qu'il n'a jamais quittés, ces mêmes quartiers où sa voix continuera à résonner.