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"L'Opep+ pourrait faire une pause dans les augmentations de production"
Francis Perrin, expert international en énergie
Publié dans Liberté le 02 - 12 - 2021

Liberté : Le marché pétrolier évolue dans un contexte très tendu, à quelques heures de la réunion très attendue de l'Opep et ses partenaires. Face au risque que fait peser le nouveau variant de la Covid-19 sur la demande mondiale de pétrole, l'Opep et ses alliés pourraient-ils faire une pause dans leur marché d'augmentation de l'offre ?
Francis Perrin : Cette option, qui était très peu probable il y a encore quelques jours (jusqu'au 25 novembre), est aujourd'hui l'un des scénarios les plus probables compte tenu de la très forte chute des cours du pétrole le 26 novembre (-11% à -13%) et d'une nouvelle baisse (-4% à -5%) le 30 novembre. La donne a donc radicalement changé en quelques jours, ce qui illustre une fois de plus la capacité de la pandémie de Covid-19 et des marchés pétroliers à nous surprendre. De nouvelles baisses des prix du brut ne sont d'ailleurs pas à écarter, ce qui accroît les pressions sur les pays producteurs et exportateurs de l'Opep+ (23 pays, dont les 13 pays membres de l'Opep). Et, peu de temps avant Omicron, plusieurs pays – qui sont de gros consommateurs de pétrole, dont les Etats-Unis – avaient annoncé leur intention de mettre sur le marché une petite partie de leurs stocks stratégiques de pétrole. Les volumes de brut concernés par ces cessions pourraient atteindre 70 millions de barils environ. Il y a là deux raisons importantes qui pourraient pousser l'Opep+ à faire une pause dans les augmentations de production, même si ce n'est pas du tout ce que souhaitent plusieurs gros consommateurs et l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
Les cours du brut ont caracolé à plus de 80 dollars le baril avant de chuter de 10% sur la seule journée de vendredi dernier. Pensez-vous que la forte volatilité des cours trouve une explication dans l'état actuel des fondamentaux du marché ou bien dans des facteurs plutôt conjoncturels ?
La forte chute des prix du pétrole dans les derniers jours a une cause principale : Omicron. Il y a pourtant encore beaucoup d'incertitudes à ce sujet, ce qui est normal puisque ce variant est nouveau, mais les marchés pétroliers ont réagi très rapidement et fortement en termes baissiers. Les inquiétudes sur sa contagiosité, sa dangerosité et sa capacité de résistance aux vaccins actuels ont impressionné, alors même que, sur le plan scientifique, on ne peut pas, actuellement, apporter des réponses précises sur ces trois plans.
Mais la rapidité avec laquelle plusieurs pays sont en train de fermer leurs frontières et d'arrêter les vols en provenance de certains autres pays a fait craindre aux opérateurs de marché (traders) que tout ceci ne fasse boule de neige et ne débouche sur de plus en plus de restrictions aux transports et à l'économie, ce qui pourrait faire baisser la consommation pétrolière. On n'en est pas encore là, mais ces craintes sont très présentes sur les marchés aujourd'hui.
Ajoutons à ce facteur-clé la volonté de plusieurs pays consommateurs de céder une partie de leurs stocks stratégiques de brut, le fait que la Réserve fédérale (Fed) américaine pourrait durcir sa politique monétaire, la hausse du dollar – une hausse de la devise américaine entraîne souvent un recul des cours du pétrole – et, enfin, la reprise des négociations autour du programme nucléaire de l'Iran et nous avons les explications de la tempête qui secoue les marchés pétroliers.
À quelle issue peut-on s'attendre quant à la guerre que se livrent l'Opep+ et les grands consommateurs de pétrole ? Quelle serait l'incidence de la décision de puiser dans les réserves stratégiques sur le marché ?
S'il n'y avait que la question des stocks stratégiques de pétrole, la situation serait beaucoup plus simple pour l'Opep+. Si l'on part de l'hypothèse que ces ventes de brut pourraient être de l'ordre de 70 millions de barils, cela représenterait moins d'un jour de consommation pétrolière mondiale (le monde devrait consommer environ 96 millions de b/j en 2021). De plus, ces cessions de pétrole prélevé sur les stocks stratégiques, notamment aux Etats-Unis (50 millions de barils) ne vont pas se faire immédiatement. Elles interviendront entre la fin décembre 2021 et avril 2022. En bref, il n'y avait pas de quoi être terrorisé du côté de l'Opep+. Mais le spectre d'une forte aggravation de la pandémie de Covid-19 du fait du nouveau variant, c'est beaucoup plus important en termes de poids sur les marchés pétroliers, même s'il est possible que la réaction de ceux-ci soit excessive. La suite de l'histoire montrera si ces craintes étaient fondées ou très exagérées mais, pour l'instant, elles sont là.
Téhéran s'est dit, lundi, "fermement déterminé" à parvenir à un accord avec la communauté internationale sur le dossier nucléaire. Faut-il être optimiste et quelles seraient les conséquences d'un retour de l'Iran sur le marché, dans le contexte actuel ?
Les négociations reprennent effectivement à Vienne après plusieurs mois d'interruption due, en partie, à l'élection présidentielle en Iran en juin 2021 et à ses suites. C'est évidemment un facteur baissier pour les marchés pétroliers. L'Iran produisait, ces derniers mois, environ 2,4 millions de barils/jour (Mb/j) de pétrole alors que sa production était d'environ 3,8 Mb/j avant les sanctions imposées par l'Administration Trump en 2018. Il ne fait guère de doute que, s'il y avait un accord à Vienne, l'Iran pourrait techniquement assez rapidement produire et exporter beaucoup plus de pétrole. Dans le contexte actuel, cela pourrait provoquer une baisse importante des cours de l'or noir.
Cela dit, ce sont des négociations très difficiles sur un sujet très délicat (le nucléaire iranien). Il reste à voir dans quel état d'esprit seront les négociateurs iraniens à Vienne. Veulent-ils vraiment un accord relativement rapide et sont-ils prêts à faire des concessions significatives en ce sens ou est-il urgent d'attendre et de chercher à gagner du temps ? Et jusqu'où l'Administration Biden est-elle prête à aller pour revenir à la situation d'avant Trump sur ce dossier, à un peu moins d'un an des élections de mi-mandat au Congrès américain ? Celles-ci se tiendront en novembre 2022 et elles constituent une échéance politique majeure pour le président Biden. Là encore, il y a beaucoup d'incertitudes, de nature géopolitique cette fois.

Propos recueillis par : Ali Titouche


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