Par : Mohamed-Arezki Himeur Visiter l'Algérie sans avoir effectué une escapade à El-Kantara était considéré comme un voyage manqué, selon certains auteurs des XIXe et XXe siècles. "De tous les sites de l'Algérie, nul n'est plus fameux : là est le contraste le plus net entre les plateaux rocheux et les oasis ; l'Orient se montre soudain par une Porte d'or. Nous y sommes. En plein dedans. Entre les parois, les mâchoires gigantesques de ce qu'on appelle "foum es-Sahra", la bouche du Sahara. Un défilé encaissé. "Un des sites les plus célèbres d'Algérie", relevait un guide touristique de 1923 (éditions Hachette). Il marque la fin de la zone du Tell et du Nord de l'Algérie. Il annonce, de but en blanc, l'entrée sur le territoire du vaste Sahara algérien. "Cette subite apparition de l'Orient par la Porte d'or d'El-Kantara m'a laissé pour toujours un souvenir qui tient du merveilleux", a écrit au XIXe siècle Eugène Fromentin, écrivain et artiste-peintre français. La première visite de cet auteur d'Un été dans le Sahara, publié en 1854, remonte à 1846. "Nous passâmes dans cet éden deux jours paradisiaques", relèvera, un demi-siècle plus tard, son coreligionnaire, André Gide. El-Kantara fut pendant de longues décennies une oasis très courue, notamment par des artistes peintres, écrivains, chercheurs, journalistes et photographes. L'un d'eux, Gaston de Vulpillières, archéologue et journaliste ayant collaboré à de nombreux quotidiens et revues en France, son pays natal, s'y installa définitivement au début du XXe siècle, jusqu'à son décès en 1934. "Pour qui veut connaître le Sahara, El-Kantara est la plus belle porte et la meilleure préface", souligne en 1934 Robert Dournon, dans les colonnes de la revue littéraire Corymbe, en introduction à article dédié à cette cité antique. Une cité d'abord berbère puis romaine, clame ce "vieux Chaoui et fier de l'être", retraité de l'enseignement, croisé devant l'Auberge de jeunes. Seul établissement hôtelier ouvert à tous ceux qui sont contraints, pour une raison ou une autre, de passer dans cette ville. La Route nationale n°3, construite sur le flanc abrupt du défilé au XIXe siècle, est surplombée, depuis la même période, d'une ligne ferroviaire. Celle-ci se faufile, à une certaine distance, à travers un tunnel d'une quarantaine de mètres, creusé sur le même flanc de la montagne qui domine, côté sud, El-Kantara. Cette voie achève sa course dans la petite et remarquable gare de Biskra, datant de la fin du XIXe siècle. Coup de pied d'Hercule La légende dit que la trouée résulte d'un coup de talon d'Hercule. D'où la dénomination de Calceus Herculis (talon d'Hercule) donné à la cité antique. Les Romains y ont installé une garnison comptant quelque 5 000 archers palmyréniens (originaires de la cité antique syrienne de Palmyre), appartenant à la IIIe légion d'Auguste. Leur mission fut d'observer et de contrôler, dès le milieu de IIe siècle après J.-C., le mouvement dans le défilé de Calceus Herculis. L'endroit était considéré comme stratégique par les Romains. "Un point militaire d'une grande valeur", relevait René Cagnat dans son livre sur L'armée romaine d'Afrique et l'occupation militaire de l'Afrique sous les empereurs. "Car le poste antique, comme la ville moderne, était bâti à la sortie d'un long défilé, d'où l'on débouche dans la plaine par une immense coupure ; c'est le passage forcé de la route, le seul qui s'ouvre de ce côté vers le Sud. Qui tient El-Kantara commande les communications", ajoutait-il. El-Kantara est une ville-oasis qui accueille le visiteur et le voyageur venant du Nord par les routes de Batna ou de Barika. Chef-lieu de daïra et de la commune du même nom, nichée au pied de Djebel Metlili qui s'élève à près de 1 500 mètres d'altitude, elle est formée, à l'origine, de trois villages ou hameaux. Elle est située à mi-chemin entre Biskra (51 km au sud) et Batna (62 km au sud-ouest) et trône à 538 mètres d'altitude. Sa population s'élevait, au recensement de 2008, à près de 12 000 habitants. La production de dattes constituait sa principale source de revenus. La palmeraie occupe une importante superficie. Elle est traversée par oued El-Haï, qui "étanche l'insatiable soif" des palmiers-dattiers et des jardins qu'ils abritent sous leurs longues et larges palmes, grâce à un judicieux système d'irrigation ancestral qu'on appelle seguia. La Porte d'or La palmeraie, comme dans d'autres oasis de Biskra, n'est plus ce qu'elle était. Elle a perdu du terrain. C'est le cas de le dire. "Plusieurs parcelles de terre habituellement cultivées ne le sont plus et sont totalement abandonnées, donnant un aspect de désolation à l'oasis", selon une enquête socioéconomique publiée en 2013 par Farid Kerboua, de l'USTHB. "Dans ce travail, nous nous sommes demandé si une telle situation était la conséquence de causes socioéconomiques, telles que le désintéressement des jeunes vis-à-vis de l'agriculture et leur migration vers de grandes villes, ou le résultat de mauvaises pratiques culturales entraînant la stérilité des sols. Pour répondre à ces questions, nous avons entrepris une enquête socioéconomique auprès d'une trentaine de propriétaires de parcelles, abandonnées pour la plupart, et réalisé quelques analyses physico-chimiques des sols", écrivait-il. Son étude portait sur la "Contribution à la détermination des causes de l'abandon et/ou de la dégradation des sols cultivés sous palmeraie, cas de l'oasis d'El-Kantara". Visiter l'Algérie sans avoir effectué une escapade à El-Kantara était considéré comme un voyage manqué, selon certains auteurs des XIXe et XXe siècles. "De tous les sites de l'Algérie, nul n'est plus fameux : là est le contraste le plus net entre les plateaux rocheux et les oasis ; l'Orient se montre soudain par une Porte d'or. C'est une croyance établie chez les Arabes, et en partie justifiée par les faits, que les rochers d'El-Kantara arrêtent à leur sommet tous les nuages du Tell ; la pluie vient y mourir. D'un côté est la région de l'hiver, de l'autre celle de l'été ; en haut est le Tell, en bas le Sahara ; sur un versant, la montagne est noire et couleur de pluie ; sur l'autre, rose et couleur de beau temps", selon Eugène Fromentin, cité par Elisée Reclus dans le guide de 1923 cité plus haut. Le pont romain L'antique Calceus Herculis est une cité charmante et paisible. Elle dispose d'un potentiel touristique, archéologique, culturel et architectural non négligeable. À commencer par le bureau de poste. C'est la plus petite ou l'une des plus petites agences postales d'Algérie. Il est édifié dans un style proche des constructions néo-mauresques. "Ici, la distanciation sociale est en vigueur depuis toujours. Faute d'espace à l'intérieur de la bâtisse, les gens entrent à tour de rôle", dit avec une pointe d'humour un jeune de la ville. La construction, peinte à l'extérieur en vert et blanc, mérite une halte. À quelques centaines de mètres de là, au détour d'un virage, apparaît le pont romain d'où El-Kantara tire son nom. Il relie les deux bords de la montagne traversée par un cours d'eau connu sous les deux noms de oued El-Kantara ou de oued El-Haï. Le pont est d'une seule arche de 14 mètres de hauteur, 10 mètres de long et 4,90 mètres de large. Il a été, selon le guide déjà cité, "défiguré par une restauration inopportune" réalisée en 1862 par le Génie militaire français, deux ans après la visite de Napoléon III en Algérie. Cet édifice, classé monument en 1900, puis en 1923 en même temps que le défilé, constitue un vestige historique et une curiosité touristique. Une halte inévitable pour les voyageurs empruntant la RN3, qu'ils soient touristes ou simples passagers. La sortie du défilé offre une superbe vue sur la palmeraie, dominée par une dachra aux ruelles étroites et sinueuses, plus connue sous le nom de village rouge. Un village ancien construit en pisé (terre crue) autour du XIe siècle de notre ère. Classé patrimoine historique, il abrite ce qui reste du Musée lapidaire créé en 1921. Son fondateur, Gaston de Vulpillières, avait consacré dix ans à rassembler une collection de vestiges composée de débris d'architectures, d'épitaphes, d'inscriptions, de reliefs qu'il entreposait dans sa petite maison en pisé, qui surplombe la palmeraie et les maisons mitoyennes. Il avait été beaucoup aidé dans cette tâche ardue par des autochtones, aussi bien dans les fouilles que dans le transport des ruines découvertes à El-Kantara et ses environs. Cette ancienne cité antique romaine, Calceus Herculis, dispose de divers atouts pour se hisser au rang de destination touristique. Il suffit, pour ce faire, de mettre en valeur les potentialités existantes, telles que les activités artisanales, le pont romain, le village rouge, le bureau de poste, les randonnées vers le djebel Metlili, "dharsa hamra" (molaire rouge) plantée par la nature dans un paysage lunaire. Le développement du tourisme passe, aussi, par la construction de certaines infrastructures, dont des hôtels. Aujourd'hui, l'Auberge des jeunes est l'unique établissement offrant le gîte au touriste et au voyageur de passage à El-Kantara.