Chef-lieu de daïra, occupant une superficie de 238,98 km2, elle a bénéficié d'un programme de développement conséquent qui lui a permis, en quelques années, de se doter de toutes les infrastructures de base: hôpital, établissements scolaires, maison et auberge de jeunes, stade et salles de sport, aménagements urbains et logements. Célèbre pour son défilé, cette mince déchirure longitudinale ouvrant Djebel Metlili, qui permet le passage entre le Tell et les immensités du Sahara via la RN3, le noyau originel d'El Kantara composé des 3 douars, Gregar, Dachra et bourg Abbas ou villages, noir, blanc et rouge, appelés ainsi en référence à la couleur de la terre utilisée pour les construire, est un site classé. Le village rouge, rebaptisé cité du 8 Mai 1945, est un patrimoine national restauré et préservé de la destruction grâce à plusieurs initiatives menées conjointement par les services de la culture, du tourisme et de l'artisanat. La nouvelle ville d'El Kantara s'étend à l'est sur la plaine d'El Faïdh. Aimant à penser que le défilé d'El Kantara était la conséquence d'un coup de pied d'Hercule, les Romains l'avaient dénommé «Calceus Herculis», le soulier d'Hercule. Au VIIe siècle, à l'époque des conquêtes islamiques, le village d'El Kantara connaît, selon les historiens, une formidable expansion. Plus tard, les Turcs y établiront un centre important de collecte des impôts. Au XIXe siècle, trois grandes tribus, les Ouled Si Ali Mohamed, les Ouled Bellil et les Ouled Mahmed peuplent le village. Les anciennes familles d'El Kantara sont les Abdelaziz, Bensebaâ, Belahmar, Benghezal, Bellal, Chelli, Hamdane, Cherhabil, Khelifi, Abeddaim, Khalfa, Metlili, Nasri, Djenane, Ganibardi, Houfani, Hedjaz, Khireddine, Saâdlaoud, Souri, Youb, Zeroug, Meguellati, Driss, Khaled, Mekdad, Bellil, Chengriha, Nourani, Belaïd, Chebouti, Ramdane Houara et Hamoud. Des colons de différentes confessions s'y implantèrent après 1830. En 1862, Napoléon III entreprit de conforter le pont et d'ouvrir un tunnel de plus de 40 m pour qu'une ligne de chemin de fer puisse traverser l'oasis d'El Kantara et descendre vers les étendues désertiques du sahara. Une gare y est construite. Une escale obligée El Kantara devient une escale obligée pour des milliers de visiteurs. Village natal du chahid Driss Omar et de dizaines d'autres martyrs de la guerre de Libération, El Kantara a offert le sang de ses fils les plus valeureux à la patrie. Aujourd'hui, elle continue de subjuguer ; malgré une urbanisation échevelée et anarchique, tous ses visiteurs, illustres ou inconnus, repartent émerveillés par la beauté des lieux. On peut y admirer l'ingéniosité architecturale arabo-berbère du village ancestral bâti en terre et pisé, et troncs de palmiers, un musée lapidaire fondé par Vulpillières, riche de dizaines de pièces dont certaines remontent à l'époque romaine, des paysages à couper le souffle et une immense palmeraie irriguée par les eaux de l'oued Hai. En 1853, Eugène Fromentin dira d'El Kantara: «Ce passage est une déchirure étroite, qu'on dirait faite de main d'homme, dans une énorme muraille de rochers (…) Le pont, de construction romaine, est jeté en travers de la coupure. Le pont franchi, et après avoir fait cent pas dans le défilé, vous tombez, par une pente rapide, sur un charmant village, arrosé par un profond cours d'eau et perdu dans une forêt de plusieurs milliers de palmiers.» Emerveillé par cette magnifique oasis, A. Gide écrivit en 1897: «À El-Kantara, où je m'attarderais deux jours, le printemps naissait sous les palmes, les abricotiers étaient en fleurs, bourdonnant d'abeille ; les eaux abreuvaient les champs d'orge ; et rien ne se pouvait imaginer de plus clair que ces floraisons blanches abritées par les hauts palmiers, dans leur ombre abritant, ombrageant à leur tour les céréales. Nous passâmes dans cet éden deux jours paradisiaques, dont le souvenir n'a rien que de souriant et de pur.» Un héritage perdu Malheureusement, la palmeraie d'El Kantara se meurt, inexorablement. Ceux qui empruntent la RN3 auront remarqué ses jardins abandonnés, les stipes calcinés et les seguias asséchées. Déplorant que le modernité ait complètement dénaturé le village, et que la vie n'y soit plus aussi douce que dans le temps, Boubakeur Cherhabil, issu d'une des plus anciennes familles d'El Kantara, et qui y est né en 1927, se rappelle de tous les événements ayant jalonné l'histoire de cette riche commune, promue centre municipal en 1946. Patriarche à la mémoire infaillible et auteur de l'inoubliable «Je n'oublierai jamais», poème dans lequel il décrit minutieusement les affres du colonialisme et les souffrances endurées par le peuple algérien durant la guerre de Libération, il se rappelle que la palmeraie d'El Kantara, proie d'un immense incendie dans les années 1990, allumé par un malade mental, était la source de toutes les richesses. «Luxuriante, abondamment irriguée, elle était le centre de la vie des Kantaris. Maintenant c'est un lieu lugubre et il faut se lever tôt pour trouver un bon grimpeur de palmier», dira-t-il. Il expliquera que la palmeraie d'El Kantara se meurt à cause, principalement, du système de transmission des biens de famille en famille, appliqué depuis des générations, lequel «a mené au parcellement de la palmeraie qui comptait plus de 50 000 arbres en une multitude de terres, dont les propriétaires sont parfois absents depuis des années, décédés ou simplement et bel et bien vivants, mais ne voulant plus exploiter leur parcelle». Induite par le système d'héritage ancestral, cette situation a été aggravée par la soudaineté des mutations socio-économiques du pays et la transformation du mode de vie des habitants d'El Kantara. Rabie, enseignant, la cinquantaine bien faite, dira à ce propos: «La palmeraie se meurt car il y a des dizaines de parcelles revendiquées par plusieurs personnes à la fois. Dès que quelqu'un émet le souhait de travailler un lopin, des cousins, des oncles, des tantes se réveillent pour demander leurs parts. C'est pourquoi, plus personne ne veut travailler dans la palmeraie.» Se demandant à qui profite un tel gâchis, notre interlocuteur ajoutera que «même les opérations de régularisation des terres organisées par l'agence foncière et les services du cadastre restent inefficaces». Entre-temps, la palmeraie d'El Kantara se meurt sans que personne n'y puisse rien.