Un phénomène socio-psychique à méditer, à analyser. Cette société qui est la nôtre souffre d'une maladie psychique féminine collective. Les hommes ont d'autres pathologies ! De bon matin, elles étaient là ! Soudain, des centaines de femmes voilées ont envahi l'aéroport international Houari-Boumediène d'Alger. Elles sont venues des quatre coins de ce pays d'une superficie de 2 381 741 km2, et qui est à la fois le plus grand pays d'Afrique, du Monde arabe et du Bassin méditerranéen. Impatiemment, le regard rivé sur la porte d'arrivée, elles attendent une passagère pas comme les autres, sur un vol venant d'un pays du Nord. Un pays nordique : la Suède. Après une demi-journée d'attente, cette sacrée femme s'est enfin montrée. L'abêtissement a pris possession des têtes et le délire s'est installé sur les langues. Téléphone à la main, elles hurlent. Crient. Se bousculent. Se chamaillent. Transpirent. Poussent des youyous. Caroline est arrivée ! Leur Caroline ! Mais qui est cette Caroline qui a drainé tout ce monde féminin voilé ? Certes, ce n'est ni une star feqih, ni une prédicatrice, ni une championne olympique ! Caroline, de son vrai nom Chahinez, est une jeune femme, coupe à la garçonne, décontractée, souriante. La tête dans les nuages. Pleine d'énergie. Une femme agrippée à sa propre histoire alléchante digne d'un roman. Caroline, Chahinez, est en effet tombée amoureuse d'un jeune Suédois ! Un chrétien aux yeux bleus, ni français ni italien, mais suédois, le bleu des yeux français étant différent de celui des Suédois ! Les parents de Chahinez ont rejeté cette relation : une Tiarétienne ne se marie pas avec un kafer mangeur de cochon et ne parlant pas la langue arabe. Mais l'amour d'un Suédois a toute la force magique. Capable de vaincre le refus des parents et la colère de tous les hommes de la tribu. Désirer un Suédois est plus fort qu'une leçon de morale parentale ! Contre vents et marées, Caroline a suivi son kafer jusqu'à Stockholm, une ville construite sur quatorze îles, dans un pays où les gens vivent six mois de soleil et six mois de nuit ! Et où le soleil se lève à minuit ! Caroline, via les réseaux sociaux, en narrant sa vie, ses jours partagés avec son Suédois et ses enfants, est devenue la mascotte des femmes du bled ! Elle est suivie par des centaines de milliers de fans ! Que cherchent ces femmes hystériques qui sont venues accueillir Caroline à l'aéroport d'Alger Houari-Boumediène ? Elles sont à la recherche d'une autre vie. Une autre vie sur un autre sol, sur une île nordique. Avec un homme qui ressemble au Suédois de Caroline. Elles rêvent de partir vivre dans un pays nordique. Le Sud n'est plus fascinant. Elles sont toutes hantées par l'image de l'autre : le bleu suédois et le soleil qui se lève à minuit ! Elles veulent rompre avec ce qu'elles sont, se métamorphoser en femmes de Suédois ! Avoir des enfants avec un Suédois ! Aller au cinéma suédois ! Parler le suédois. Assister à la présentation d'une pièce théâtrale sur la vie des marins suédois. Rentrer à minuit sans gardien. Sortir le dimanche et le mercredi. Faire du shopping. Lécher les vitrines. Avoir une salle de bains avec un jacuzzi et un shampooing de marque non falsifiée. Sortir sans chercher un mensonge pour convaincre le père et le frère et la mère et le voisin et le taxieur et le muezzin et l'épicier du coin. Elles veulent se libérer de l'hypocrisie sociale et religieuse qui ronge leur vie quotidienne. Elles veulent des enfants qui seront pris en charge par une vraie école et par un enseignant qui leur apprend l'écologie et la musique et non pas la toilette du mort ! Toutes ces femmes veulent être des Caroline. Vivre à l'étranger, avec un étranger, et pas n'importe quel étranger – chacune a un Suédois dans la tête. L'amour d'un étranger, un pur étranger, libère d'abord la tête de la femme algérienne du poids de la culture machiste ancestrale qui l'écrase. L'amour d'un étranger, un étranger pur, délivre le corps de la femme algérienne, dénoue sa langue et enrichit son vocabulaire. Toutes veulent vivre dans une belle maison, une rue propre, une ville vivante, avec des voisins bienveillants et non des vigiles. Toutes, à l'instar de Caroline, veulent avoir un sourire grand comme le soleil dessiné sur leurs visages. Toutes veulent briser les lourdes chaînes de la famille et de la tribu. S'approprier leur corps. Tout simplement être considérées comme majeures. Toutes, comme Caroline, cherchent un mari qui soit un compagnon avec qui vivre, discuter, voyager, échanger. Et non pas un époux qui donne des ordres, la lèvre gonflée de tabac à chiquer. En somme, ces femmes de l'aéroport sont à la recherche d'une autre vie ! Elles s'ennuient !