Une belle et louable initiative que celle prise par les �ditions Chihab de publier La trilogie nordique de Mohammed Dib, et qui regroupe les romans Les terrasses d�Orsol, Le sommeil d'Eve et Neiges de marbre. L�occasion pour les lecteurs alg�riens de (re)d�couvrir un auteur prolifique et novateur, dont l��uvre � la dimension universelle l�impose comme l�un des plus grands �crivains maghr�bins de langue fran�aise. Surtout que, h�las, on parle si peu de Mohammed Dib. Il reste toutefois � esp�rer que le prochain anniversaire de sa mort (il est d�c�d� le 2 mai 2003 � La Celle Saint-Cloud pr�s de Paris) soit marqu� comme il se doit. Pour �viter le pi�ge de l�oubli ou de la n�gligence. Malgr� tout, nombre de lecteurs connaissent le romancier surtout par sa trilogie alg�rienne : la Grande Maison, l�Incendie et Le m�tier � tisser. Cette deuxi�me trilogie, celle appel�e Nordique, se pr�sente comme une excellente opportunit� d�aller � la d�couverte d�ouvrages parmi les plus aboutis, car de ceux qui font partie de l��uvre bien plus personnelle publi�e apr�s l�ind�pendance et qui s�inscrit dans une vision universelle de la litt�rature. Mohammed Dib est un �crivain qui a beaucoup voyag� tout au long de son exil. Il est l��crivain qui a toujours explor� de nouvelles terres, de nouvelles villes, de nouvelles cultures, y compris cet espace septentrional o� le soleil de minuit �claire du haut de l�horizon. Bien s�r, chaque nouveau livre est en m�me temps l�occasion d�explorer cet autre espace de libert� que repr�sentent les territoires de l��criture. Ici, la langue n'admet aucun r�tr�cissement ; elle est au contraire le moteur qui permet de traverser les fronti�res de la cr�ation. Lui-m�me disait : �La travers�e d�une langue est une recherche de soi. Je suis toujours en marche vers cet horizon. Chaque livre est un pas de plus.� Parmi les terres sans confins sur lesquelles il s�est aventur�, bien audel� du limes fortifi� de Numidie et de la capitale des Zianides o� il est n� un certain 21 juillet 1920, Mohammed Dib a bien connu la Finlande. C�est de ses s�jours finnois, � partir de l�ann�e 1975, que na�tra sa trilogie nordique, dont la premi�re �dition a paru, successivement, en 1985 pour Les terrasses d�Orsol,en 1989 pour Le sommeil d'Eveet en 1990 pour Les neiges de marbre. Les trois romans se distinguent par un style d��criture �lev� et hardi d�un auteur inspir�, une �criture vertigineuse dont le lyrisme et la beaut� po�tique permettent d�explorer plus profond�ment l�espace du tragique tout en abordant r�guli�rement aux rivages du fantastique et du merveilleux. Romans o� l��crivain dit � la fois la vie et la mort, l�amour et la folie, le d�sir et la perte, l�identit� et la m�moire, l�exp�rience et l�indicible, le d�racinement et l�incommunicabilit�, la lucidit� et l�impuissance de la parole... Ce sont toutes ces interrogations angoiss�es, cependant par�es de la po�sie et de la beaut� des r�ves, qui donnent leur sens � la vie, � l�action comme � la parole. �Alors ils sont devenus la vie. Les r�ves. Les portes n�y ont pas de fausses portes, elles s�ouvrent quand je frappe et je peux entrer, me reposer de la fatigue des routes. Elles s�ouvrent, une maison m�accueille qui a la profondeur de la m�moire (...). La m�moire me revient. Tout me revient.� ( Neiges de marbre, p. 244). Le premier volume de cette trilogie, Les terrasses d�Orsol, raconte l�histoire d�un h�ros narrateur, Eid, qui laisse � Orsol (o� il est professeur � l�universit�) sa femme et sa fille. Envoy� � l��tranger pour une mission d�espionnage, il finit par rompre tout contact avec sa famille et son pays natal. Son errance hallucin�e lui fait perdre ses rep�res, son identit�, sa m�moire, d�autant qu�il est seul � voir un univers hant�. A la fin du roman, Eid a tout oubli�, ou presque, � deux petits d�tails pr�s... La folie, l�inqui�tude, la disparition de la m�moire et de l�identit� poursuivent leur mouvement alternatif avec Le sommeil d'Eve, qui est le roman d�une poss�d�e, r�cit � deux voix d�une passion amoureuse devenue une obsession destructrice. Peut-�tre aussi parce qu�il est adult�re, l�amour de Fa�na la Finlandaise et de Solh l'Alg�rien ne peut ouvrir que sur une voie sans issue, le chemin sombre de la d�pression, de l�incommunicabilit� et du d�racinement. �Tu as voulu forcer le destin, Fa�na, et m�aimer. Or, on ne force pas le destin. Il fait semblant de c�der. Un moment, puis il se reprend, et prend le dessus, plus imp�rieux que jamais. Le loup qui s�est empar� de toi, c�est lui ! Et il est l�-bas, hantant les m�mes terres que toi�, dit la voix de Solh (p. 222). Dans Neiges de marbre, autre livre en prose tr�s po�tique et d�une grande intensit�, s�ach�ve la saga de la trilogie nordique. Cette fois encore, un homme du sud et une femme du nord s�aiment puis se d�chirent. Apr�s leur s�paration, le p�re narrateur va jusqu�� perdre sa fille, peu � peu, puis d�finitivement une fois rentr� dans son pays. D�sormais retourn� � son exil et � sa solitude, l�homme ne cherche plus une terre qui veuille de lui. Il sait qu�il doit vivre avec son mal : �Le temps a blanchi et j�ai blanchi, nous avons pris, le temps et moi, la plus blanche des blancheurs, celle des fant�mes (...). Un jour, le temps tournera la t�te et montrera sa face blanche : face de neige � l�inalt�rable blancheur, face de l�absolu. Toute la neige, toute l��tendue.� (P. 248). Fin du voyage au bout du monde, dans ce �labyrinthe calme o� un jour �quivaut � mille ans et o� mille ans sont comme un jour, o� le temps vous d�met de vos droits pour vous entra�ner dans sa perte.� (P. 93). A l��ternel �tranger, le nord mythique n�aura donn� asile que pour quelques secondes. De vertigineuses secondes d�une nostalgie douce et cruelle. Dans une langue lumineuse, l��crivain r�sume ainsi cet espace tragique : �Un monde o� brille un autre soleil, et c�est le soleil de la mort.� ( Les terrasses d�Orsol, p. 192). Il est vrai que le facteur n�apporte jamais les lettres qu�on esp�re... Hocine T. Mohammed Dib, Les terrasses d�Orsol, 232 pages ; Le sommeil d'Eve, 224 pages ; Neiges de marbre, 250 pages. Editions Chihab, Alger septembre 2011, 600 DA pour chacun des romans.