Les crédits octroyés par les banques publiques n'ont augmenté que de 3,24%, tandis que ceux accordés par les banques privées ont crû de 8,16%. Pourquoi les banques ont-elles si faiblement réagi aux mesures prises par la Banque centrale à l'effet de juguler l'impact négatif du choc pandémique sur les entreprises ? Les fameuses "facilitations" et les "avantages accordés, à titre exceptionnel, aux banques, en leur permettant notamment la libération davantage de fonds propres, afin de préserver leur capacité à poursuivre le financement des entreprises durant cette période de crise sanitaire", n'ont été que faiblement transposés sur le terrain. L'accès aux crédits continue à être le maillon faible de cette quête d'une reprise post-pandémique soutenue, en mesure de panser les stigmates économiques et sociaux de la crise. Lors de sa dernière conférence dédiée à la présentation de la note de conjoncture, mettant sous les feux de la rampe l'évolution des agrégats monétaires et financiers à l'issue des dix premiers mois de 2021, le gouverneur de la Banque d'Algérie, Rosthom Fadli, a levé le voile sur une faible évolution des crédits à l'économie, de 3,82% seulement, de janvier à octobre 2021. Les crédits octroyés par les banques publiques n'ont augmenté que de 3,24%, tandis que ceux accordés par les banques privées ont crû de 8,16%. Nous sommes bien loin des progressions à deux chiffres des années précédentes, dont les dernières en date remontent à 2018 et 2017 avec, au tableau, un rythme soutenu de 13,77% et de 12,27% respectivement. Même si la crise sanitaire liée à la diffusion de la Covid-19 dès le début de 2020 a considérablement réduit l'activité économique, force est de constater que la trajectoire baissière des financements de l'économie est antérieure à 2020. C'est une chute vertigineuse. Et l'essentiel s'est passé durant les deux années 2019 et 2020, années des grandes poursuites judiciaires ayant visé des hommes d'affaires, des responsables politiques et des dirigeants de l'administration économique. Selon Mohammed Tayeb Bouacha, consultant, formateur et retraité du secteur bancaire, cette faible évolution des crédits à l'économie s'explique, dans "l'absolu", par "la baisse du niveau de l'activité économique en général en raison de la crise sanitaire, ainsi que par la frilosité maladive des banques publiques à prendre des risques à travers l'acte de crédit". Mais pas seulement. À l'origine de cette faiblesse des financements bancaires figurent les "séquelles des opérations anticorruption qui ont tétanisé les responsables des banques et des entreprises, ainsi que les changements intervenus dans la gouvernance des banques publiques, lesquelles consistent en la séparation des postes de PCA et de DG", estime Mohammed Tayeb Bouacha, contacté par Liberté. La compression administrative des importations, voire carrément leur suppression, comme pour le secteur automobile, a entraîné une réduction équivalente des crédits correspondants, soutient, sur sa lancée, notre interlocuteur. Des pistes de réformes En tout cas, la baisse de l'activité crédit rend mathématiquement plus poussive la reprise économique à laquelle l'on accroche les espoirs d'un rattrapage en matière d'emplois, d'optimisation des recettes fiscales et, plus globalement, de sortie de crise. Une restructuration et une consolidation du secteur bancaire pourraient être nécessaires plus rapidement que prévu pour débloquer un tant soit peu la situation. Les banques publiques représentent près de 85% du marché bancaire algérien, alors que les banques à capitaux privés, bien que leur marge de progression reste très importante, demeurent marginales avec, comme force, une importante efficacité dans les crédits à court terme auxquels elles adossent des crédits extérieurs pour financer les importations d'intrants ou de matières premières. Et, comme faiblesse, une faible contribution au financement de l'économie au moyen de crédits à long terme. Cette configuration du marché bancaire, figée et peu évolutive, relance de plus belle le débat de sa réforme, de surcroît urgente et impérative, afin de le rendre plus participatif, sa valeur ajoutée plus réelle et sa résilience plus solide face aux chocs à répétition provoqués par les baisses conjoncturelles des dépôts du secteur des hydrocarbures. Bien évidemment, cette réforme ne pourrait être efficace si elle n'intègre pas l'élément humain et l'aspect managérial et de gouvernance. Jusqu'à preuve du contraire, un DG d'une banque publique est et restera un salarié de la banque, de même qu'un PCA ou un membre du conseil d'administration est et restera un fonctionnaire salarié du ministère des Finances, laquelle institution les mandate pour la représenter. De ce fait, elle est pour le moins peu envisageable, l'idée que les fonctionnaires du secteur bancaire prennent des risques ou désobéissent aux injonctions de ceux qui les ont nommés. "Tant que les banques fonctionnent avec ce système de gouvernance, qui découle de la nature publique exclusive de leur capital, les choses n'évolueront pas beaucoup", estime Mohammed Tayeb Bouacha. Quant à la solution idoine à la distribution des crédits de manière transparente et objective, celle-ci passe nécessairement, selon lui, par la réforme du secteur bancaire, qui est elle-même tributaire du mode de propriété dominant des banques et des entreprises. Dit autrement, "tant que les banques et les entreprises restent dans le giron de l'Etat propriétaire, les forces de pesanteur empêcheront toute évolution", souligne notre interlocuteur, précisant que l'ouverture envisagée du capital des banques, perçue par les pouvoirs publics comme un maillon essentiel de la réforme, "n'est qu'un moyen de réforme parmi d'autres, dont la pertinence dépend du pourcentage de cette ouverture".