Il y a des visiteurs qui débarquent à Alger pour y découvrir sa Casbah, sa Dar Essoltane et quêter l'instant de ferveur d'une "ziyara" (visite) au "m'qam" (mausolée) de Sidi-Abderrahmane. Et dans cette foule de globe-trotters venue d'ailleurs, il y a celle qui se fond dans la foule pour y faire cavalier seul, car à l'inverse de ce qui est attendu d'une touriste en quête d'exotisme, celle-ci est venue faire la chasse aux enseignes livresques. C'est le cas de Lucrèce Lucciani qui est venue de sa France. Le but ? S'inviter dans l'univers de la bouquinerie à ciel ouvert d'Alger. Première étape, à "l'Etoile d'or" de Mechkour Mouloud (Âami Mouloud pour les habitués), qui était le doyen des "marchands de savoir" (décédé en 1976). Et au seuil des lumières, Lucrèce s'est offerte une halte chez Boussâad, qui croule de sous ses livres stockés pêle-mêle. Elle y bat ainsi le pavé au milieu de l'enfilade d'étals de bouquinistes si garni d'un filon littéraire et qui avaient pignon sur l'esplanade de la Grande-poste et au jardin Mohamed-Khemisti. : "Alger grouille de livres, de textes, de paroles qui se croisent. Si l'on aime les livres, si l'on veut les voir, rien de plus facile. Il n'y a qu'à se laisser porter, aller par les rues, faire les trottoirs, se rendre dans le quartier de la Grand-poste. Ils sont là ! A leur tour, ils vous regardent. Ce sont eux les yeux d'Alger." S'ensuivit l'idée d'aller à la rue Hamani-Arezki, réputée autrefois pour ses librairies Idjtihad (ex-Dominique) et d'Edmond Charlot (1915-2004) dont les anciens locaux ouverts le 3 novembre 1936 et dénommés "Les Vraies Richesses" abritent actuellement la bibliothèque de prêt externe de l'Etablissement Arts & Culture de la wilaya d'Alger. À ce propos, le choix de l'artère Charras n'est pas fortuit, puisqu'elle était ce quartier Latin où s'ouvrent de nos jours la rangée d'étals, l'un sous l'enseigne borgne de la salle de cinéma Le Capri (ex-Vox) et l'autre sur l'esplanade où il y a le bouquiniste Yasor et les autres... Mais ce qu'elle voulait par-dessus tout Lucrèce Lucciani, c'est aller jusqu'au bout de son odyssée et au cœur du vieil Alger. D'où le vœu du critique littéraire Youcef Saïah à ce que nous allions à deux chez les bouquinistes de la Casbah d'Alger. Première escale, la "Maison des livres" sis à la rue Ali-Boumendjel puis le "bazar ellouh" (marché couvert en bois) de la rue Arezki-Bouzrina dit "Hdidouche" (1913-1958) où le regretté El-Hadi n'y était plus dans sa "bouquinerie". Reste qu'il me restait le souvenir du bouquiniste de l'ancienne rue Boutin qui étalait ses livres en contrebas du marché de Djamâa-Lihoud (synagogue). C'était le vide ! Pas même les vendeurs de bandes-dessinées qui enjolivaient jadis "droudj cinima Nedjma" (escaliers) sise à la rue Mustapha-Hadjadj (ex-rue Gagliata) qui est adjacente à la rue Arbadji-Abderrahmane dans la Basse-Casbah. De tous ces bouquinistes, il n'en reste rien au grand regret de Lucrèce Lucciani. Seule consolation, les murs de l'ancienne rédaction du journal des "Arabes", en l'occurrence Alger-Républicain sont encore-là à la rue Abderrahmane-Toumiat (ex-Kœchlin) à Bab-El-Oued. Et au bout de ce périple, l'auteure a réussie à dresser l'inventaire des librairies et des acteurs du livre de l'Algérie. Le tout est dans "Les yeux d'Alger" qui est conçu comme un beau livre avec l'illustration de la couverture par Farouk Toumi et publié avec l'aide de l'Institut français d'Algérie.