Inaugurée en mars 2019, la librairie qui porte le nom du dramaturge Abdelkader Alloula met la clé sous le paillasson après seulement trois ans d'activité. La pandémie étant passée par-là et dans l'attente, en vain, d'une bouée de sauvetage ou la main tendue des pouvoirs publics, l'espace livresque a dû baisser rideau, explique son propriétaire. De la "malédiction" de Rachid Mimouni (1945-1995) à celle de la Momie, il reste à créer celle du libraire qui vit avec la hantise de la faillite, mais aussi avec la peur de l'épée de Damoclès, qui reste suspendue au-dessus de sa tête et qui s'abattra un jour ou l'autre sur le brave bibliothécaire qui a fait le choix de vivre d'un métier noble. Le cas est d'autant plus récurrent à Oran où l'inculture vient de frapper de tous ses crocs fielleux. Inaugurée il y a déjà trois ans, soit au mois de mars 2019, l'enseigne de la grande librairie d'Oran, baptisée au nom du défunt dramaturge Abdelkader Alloula (1939-1994), aurait pu briller encore dans l'univers didactique d'El-Bahia, n'était l'implacable règle de la commercialité qui, en l'absence d'autre alternative, a contraint le propriétaire à mettre la clé sous le paillasson, a-t-on su de son gérant B.-B., dit Fouzi, que nous avons joint par téléphone. Mais comment en est-on arrivé là, alors que la librairie avait, le jour de son inauguration, l'argument commercial d'être située d'abord au huppé boulevard de la Soummam d'Oran et au cœur battant du quartier d'affaires de la ville "Radieuse" ? Soit à l'endroit où il y a, outre l'essentiel des lieux conviviaux, des endroits auxquels aspirent l'Oranais et le visiteur, à savoir tout ce que le guide d'Oran compte en matière d'écoles, ainsi qu'un échantillon de banques et de sites touristiques et d'accueil hôteliers. Mieux, la librairie est située à une pile de livres de la station du tramway de la place du 1er-Novembre-1954. Autant d'argumentaires de vente qui se justifient également d'un capital livresque de 6 000 titres qui enjolivaient ses rayons répartis sur trois étages, reposant sur une superficie de 400 m2. Soit un confortable fonds pédagogique qui devait lui garantir prospérité et ascension dans l'aventure intellectuelle. Seulement, que peut la diversité de ses ouvrages (scientifiques, culturels, littéraires, théologiques et autres) face à l'inopportune et intempestive pandémie de Covid-19 qui a pénalisé la vie de la librairie à la suite d'inconvenantes périodes répétitives de confinement ? "Et dire qu'au début l'ouverture de la librairie était un challenge de faire de ce lieu un rendez-vous des croqueurs de bonnes feuilles et d'amoureux du livre de bled Sidi El-Houari. Il est vrai que l'idée était folle en ces temps où beaucoup redoutent ce genre de négoce", a déclaré le gérant. Pire, au chapitre des pertes s'est additionné aussi l'onéreux coût de location qu'il est ardu d'amortir et auquel s'ajoutent les frais divers de gestion, ainsi qu'une masse salariale pourtant "squelettique", a ajouté notre interlocuteur. Donc, et au contraire de ce qui était attendu en termes de chiffre d'affaires et de gains, la librairie s'est heurtée à un cas dit de force majeure qui est plus fort qu'elle n'en pouvait supporter quant aux numéraires, explique son gérant, qui attendait, en vain, une bouée de sauvetage ou la main tendue des pouvoirs publics. À ce propos, qui se soucie de la fermeture d'une librairie ? Personne ! eu égard à la citation de l'écrivain sétifien-français Denis Guedj : "Le chiffre d'affaires des librairies est un fichu baromètre pour la société." Donc il compte si peu, si ce n'est pour des prunes. Alors et seul dans la tempête, le personnel, au nombre de trois, de la librairie ira émarger du jour au lendemain au chômage. C'est triste.