Dans cette interview, Brahim Guendouzi, professeur d'économie à l'université de Tizi Ouzou, détaille les facteurs-clés ayant contribué au rebond de l'inflation en 2021. À la source de cette fièvre inflationniste qui a marqué le précédent exercice figurent, selon lui, des facteurs conjoncturels, mais aussi d'autres paramètres liés au fonctionnement de l'économie nationale. Brahim Guendouzi appelle à lutter efficacement contre l'inflation avant qu'elle ne prenne la forme d'une spirale incontrôlable. Liberté : Dans sa dernière note statistique, l'ONS a indiqué qu'en décembre 2021, par rapport au même mois de l'année 2020, les prix à la consommation marquent une augmentation de 8,5%. Et le rythme global d'inflation est passé de +2,4% en 2020 à +7,2% en 2021. Selon vous, quels sont les facteurs ayant contribué à la hausse de l'inflation en 2021 ? Brahim Guendouzi : Tout d'abord, il y a lieu de rappeler que l'inflation se mesure à partir d'un indicateur économique censé rendre compte de l'évolution générale des prix dans un pays et dans la monnaie nationale durant une période donnée, généralement l'année. C'est dans ce cadre que l'ONS détermine l'indice des prix à la consommation pour refléter l'évolution des prix d'un certain nombre de biens et services de consommation courante. Tel que calculé, l'indice brut des prix à la consommation de la ville d'Alger, habituellement utilisé par l'ONS, fait ressortir un rythme global d'inflation qui est passé de +2,4% en 2020 à +7,2% en 2021. Cela peut être interprété en premier lieu comme étant la conséquence de la contraction du produit intérieur brut (PIB) de l'ordre de 5,5% en 2020 alors que la masse monétaire avait augmenté de 7% et ce, suite aux retombées de la Covid-19, notamment le ralentissement de l'activité économique et la fermeture de nombreuses entreprises. En second lieu, l'économie algérienne étant extravertie, la hausse des prix de nombreux produits de base importés ainsi que l'augmentation des tarifs du transport maritime constituent d'autres facteurs porteurs de risques inflationnistes. Enfin, la forte dépréciation du dinar par rapport au dollar et à l'euro a contribué à renchérir la plupart des biens importés. Au-delà des facteurs conjoncturels, la dérégulation des marchés, la dépréciation du dinar et la hausse de la masse monétaire ne peuvent-elles pas expliquer en partie le rebond des tensions inflationnistes ? La conjugaison des facteurs que nous venons de citer, avec d'autres paramètres spécifiques au fonctionnement de l'économie algérienne –comme par exemple les dysfonctionnements dans les circuits de distribution, l'insuffisance de la production pour cause de sécheresse, les pratiques du secteur informel dominant dans les activités de l'agroalimentaire – ont fait que le rythme de l'inflation s'est accéléré de façon inattendue. N'y a-t-il pas risque que la situation s'aggrave en 2022 avec, comme facteurs de tension, la flambée des cours des matières premières énergétiques et alimentaires sur les marchés mondiaux ainsi que le rebond de l'inflation chez les pays partenaires ? Nous sommes encore dans une hausse de prix de type conjoncturel ; il va falloir agir efficacement pour la contenir. Le risque existe effectivement pour qu'un cycle inflationniste de type structurel s'installe dans l'économie algérienne, c'est-à-dire une spirale s'autoalimentant soit par les coûts, soit par la demande. Ceci deviendra en conséquence handicapant aussi bien pour la consommation des ménages que celle productive, de même que pour l'effort d'investissement, avec un effet global impliquant un ralentissement de l'activité économique. Quelles conséquences faut-il craindre quant au pouvoir d'achat des ménages et des entreprises ? Il est clair qu'une hausse importante des prix permet d'acheter un nombre moindre de produits, d'où la perte du pouvoir d'achat aussi bien pour les ménages que pour les entreprises. Les mesures prises récemment par les pouvoirs publics concernant les revenus (baisse de l'IRG et révision de la valeur du point indiciaire pour les traitements de la Fonction publique) s'inscrivent en quelque sorte dans une logique de rattrapage du pouvoir d'achat, qui est en chute libre. Ceci reste évidemment insuffisant si l'on se limite à ces actions, dès lors que l'inflation continue à progresser, surtout sur les marchés internationaux, particulièrement en cette conjoncture de crise militaire en Europe. D'où la nécessité d'adopter une batterie de mesures permettant de lutter contre l'inflation avant qu'elle ne prenne la forme d'une spirale incontrôlable.