La presse française, si prompte à s'enflammer sur ce qui se passe à l'étranger, fait preuve d'une prudence inhabituelle. Elle est agitée par des débats sur la pertinence de couvrir les évènements de banlieue. Malgré la décrue des violences dans les banlieues où elles ont éclaté depuis maintenant trois semaines, l'état d'urgence sera prolongé de trois mois en France. C'est le désir des plus hautes autorités du pays, à commencer par le président Jacques Chirac qui est sorti, hier, d'un mutisme devenu trop insupportable au sein de la classe politique de droite comme de gauche. Au point que Le Canard Enchaîné se demande : “Y a-t-il encore quelqu'un à l'Elysée ?” Le journal satirique fait part de cette confidence de Jean-Louis Debré : “Chirac a l'air sonné, presque dépassé par les évènements. Je ne sais pas ce qui lui arrive”, aurait confié le très chiraquien président de l'Assemblée nationale. Le chef d'Etat a donc fait approuver par le Conseil des ministres, avant le Parlement, une prorogation de l'état d'urgence instauré le 8 novembre dernier pour une durée de douze jours en application d'une loi de 1955 visant le FLN, en pleine guerre d'indépendance. La prorogation, une “mesure de protection et de précaution”, selon les termes de Chirac, prendra effet le 21 novembre. Destinée à “donner aux forces de l'ordre tous les moyens pour ramener le calme”, comme le souligne encore le président, elle est susceptible d'être écourtée par décret en fonction de l'évolution de la situation. L'amélioration constatée ne semble pas avoir totalement convaincu le gouvernement de Dominique de Villepin pour l'amener à renoncer à la législation d'exception qui autorise des perquisitions sans mandat du juge et un contrôle du contenu des médias. La presse française, si prompte à s'enflammer sur ce qui se passe à l'étranger, fait preuve d'une prudence inhabituelle. Elle est agitée par des débats sur la pertinence de couvrir les évènements de banlieue. Elle a peur, se confesse-t-elle, de servir de vecteur publicitaire et d'amplificateur aux casseurs. Une question qu'elle ne se posait pas lorsqu'elle se prêtait aux manipulations de groupes à la capacité de nuisance beaucoup plus destructrice. Amnesty International s'est prudemment inquiétée d'éventuelles atteintes aux droits de l'Homme dans la mise en œuvre de l'état d'urgence. En effet, près de 3 000 personnes ont été interpellées et près de 600 condamnées. En écho, la justice a incarcéré un policier soupçonné d'une bavure alors que plusieurs autres ont été suspendus. Leurs collègues se sont mobilisés avec la menace de n'assurer que le service minimum. Finalement, les mesures de suspension ont été levées par le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy et le policier écroué a été remis en liberté. Et l'image de la France, première destination touristique mondiale, dans tout ça ? Le Chef du gouvernement, le chef de la diplomatie et le porte-parole du gouvernement ont reçu les journalistes étrangers accrédités à Paris pour dire que la situation n'est pas aussi grave que disent les médias. Les ambassadeurs ont été enjoints de porter ce message. De présenter la bonne image dans les pays où ils sont affectés. Jacques Chirac, qui voit dans ces violences une “crise de sens, de repères et d'identité”, a dit à l'adresse des jeunes qu'ils étaient des “filles et fils de la République”. Dans son allocution, Jacques Chirac a rappelé ce qui est devenu un leitmotiv dans la bouche des ministres, “justice et fermeté” qui semble être le slogan du gouvernement. Justice parce que la République n'admettra pas le racisme, les discriminations, l'intolérance, l'injure, l'outrage. Chirac veut que la diversité de la France soit reflétée dans les médias et dans la vie politique. Une manière d'admettre que ces espaces restent fermés aux immigrés. Fermeté parce que la justice sera sans faiblesse pour ceux qui ne respectent pas les règles. Le discours a valu au chef de l'Etat une adhésion de l'opposition de gauche quand l'extrême droite, à l'image de Philippe de Villiers le raille comme le “ministre des immigrés”. Yacine KENZY