La proposition d'annulation sera débattue, aujourd'hui, à l'Assemblée française. “Le PS a manqué de vigilance lors du vote”. Ce mea-culpa est de Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'assemblée nationale française. Lui et ses camarades tenteront de rectifier le tir, aujourd'hui, en réussissant à faire adopter une proposition sur l'abrogation de la loi n°2005-158 du 23 février dernier portant reconnaissance de la nation et la contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui dans en son article 4 loue le rôle positif de la colonisation hexagonale en outre-mer et en Afrique du Nord. Le débat se déroulera dans le cadre d'une niche parlementaire. “L'article que nous voulons abroger est une faute politique et une aberration éducative. Il n'aide pas la France à regarder lucidement son histoire — et réhabilite — le bon vieux temps de la coloniale — en occultant — les violences et les exactions”, estime Ayrault dans un entretien au journal gratuit 20 Minutes. Réagissant avec beaucoup de retard, la formation de François Hollande avait passé sous silence le forcing de la droite pour faire passer le texte. “Nous avons ensuite écrit au Premier ministre : il nous a renvoyé à une commission qui n'a toujours pas vu le jour” , note M. Ayrault. L'été dernier, en effet, alors que la polémique autour de cette affaire était à son comble entre Alger et Paris, le gouvernement français a voulu calmer les choses en suggérant la mise en place d'une commission mixte d'historiens des deux pays pour une lecture plus sereine du passé commun. C'est Philipe Douste-Blazy, lui-même, qui avait introduit en 2003 la proposition de loi au Parlement, au nom de l'UMP, qui a formulé ce vœu. La réaction très vive de l'Algérie, relayée par une partie de l'opinion française, notamment les intellectuels qui ont initié une pétition et les partis de gauche, ont mis le chef de la diplomatie ainsi que Matignon et l'Elysée dans une situation inconfortable. “Il faut bien comprendre la portée de la loi et ne pas déformer ses intentions. Il y a en France une mémoire des souffrances, mais aussi une mémoire de tout ce que des générations de Français d'Algérie ont pu accomplir dans ce pays aux côtés du peuple algérien”, avait expliqué le locataire du Quai d'Orsay. Cependant, loin de redresser la situation, ces mises au point n'ont fait qu'accentuer la brouille entre l'Algérie et la France. Le président Abdelaziz Bouteflika avait donné le la lors de la commémoration des Evènements du 8 mai 1945 en évoquant l'usage de fours crématoires par l'armée française. En juin, lors d'une rencontre avec les moudjahidine, il avait qualifié la loi du 23 février de “cécité mentale confiant au négationnisme et au révisionnisme”. Un mois plus tard, le parlement algérien réagissait en considérant le texte comme “un précédent grave”. Sans un geste de repentance de la part de Paris, Alger refuse de signer le traité d'amitié. Ce pacte, le second dans l'histoire de la France après celui conclu avec l'Allemagne, devait ouvrir une nouvelle ère dans les relations bilatérales. Sa ratification devait intervenir avant la fin de l'année en cours. C'est du moins l'échéance retenue par MM. Chirac et Bouteflika lors du déplacement du premier à Alger en mars 2003. Depuis Barcelone où il prenait part, hier, au sommet euroméditerranéen, le président français ne perd pas espoir que le traité soit signé dans les délais. “Je le souhaite car je crois que c'est une nécessité et que c'est dans la nature des choses et dans l'intérêt commun”, a-t-il soutenu au cours d'une conférence de presse. Jacques Chirac s'est abstenu de faire référence au blocage suscité par la loi du 23 février. Dans une brève allusion aux distensions, il s'est contenté d'exprimer des regrets. “Je regrette naturellement ce qui s'est passé”, a-t-il indiqué. Plus que des paroles, Alger attend une action que Chirac, très affaibli politiquement, ne pourra sans doute pas accomplir. La récente crise des banlieues donne du grain à moudre à l'opposition. Chez la droite, les tenants de “la France aux Français”, écumant les lobbies des pieds-noirs et des anciens de l'OAS, sont confortés dans leur vision méprisante de l'ancienne colonie. Bien évidemment, leur influence dans l'adoption de la loi du 23 février a été capitale. Dans la société civile, seul un certain nombre de têtes pensantes échappe à l'atonie ambiante. Tout comme Gérard Noiriel, Claude Liauzu, Gilbert Meynier, Lucette Vanlensi qui ont initié la pétition: “Colonisation : non à l'histoire officielle !” l'historien Olivier Le Cour Grandmaison n'en démord pas. “S'il appartient effectivement à tous ceux qui s'intéressent au passé colonial de la France d'en écrire l'histoire factuelle, politique, militaire et juridique, dans une société démocratique, l'Etat n'a pas à s'instituer comme le garant d'une interprétation du passé, quelle que soit d'ailleurs cette interprétation car c'est porter atteinte à des droits et libertés fondamentaux”, s'est-il insurgé dans une déclaration, hier, au bureau de l'APS à Paris. Partisan de l'abrogation de la loi, il demande aux socialistes d'en faire la promesse au cas où ils échouent aujourd'hui, mais remportent les prochaines législatives et présidentielles. SAMIA LOKMANE