Rencontrée au siège du Sénat français lors d'un colloque organisé par l'Asfad sur les violences à l'égard des femmes maghrébines, Fadila Bent Abdesslam, médiatrice juridico-sociale formée au droit des étrangers en France, explique dans cet entretien les péripéties des femmes issues de l'immigration vivant en France. Liberté : Pouvez-vous présenter l'Asfad ? Fadila Bent Abdesslam : L'Asfad est l'Association de solidarité avec les femmes algériennes démocrates. Elle a été créée le 5 juillet 1995. Dans l'Asfad, il y a des Algériennes et des Françaises qui luttent en France côte à côte et qui animent une permanence d'accueil, d'écoute et d'orientation des femmes maghrébines, en particulier algériennes, en difficulté avec un accompagnement administratif et juridique. C'est aussi un lieu d'information des femmes maghrébines sur leurs droits. L'Asfad participe à un réseau de soutien aux femmes algériennes dans leur lutte contre l'exclusion, l'obscurantisme et pour l'abrogation du code de la famille et intervient dans des journées de formation des socio-professionnels sur la prévention des mariages forcés. L'association organise aussi des débats sur les droits des femmes issues de l'immigration. Vous êtes médiatrice juridico-sociale à l'Asfad, formée au droit des étrangers en France, quels sont vos domaines de compétences ? ll Je suis à plein temps à la permanence de l'Asfad. J'accueille des femmes maghrébines en difficulté. Ces femmes peuvent être des primo-arrivantes, c'est-à-dire qu'elles viennent d'arriver de leur pays et qu'elles ne connaissent pas leurs droits. En tant que médiatrice, j'interviens au niveau des préfectures de police ou du ministère de l'Intérieur pour qu'elles aient une carte de séjour. Lorsque je reçois des femmes qui ont déjà fait cette procédure et qui ont une invitation à quitter le territoire, je fais des recours à différents niveaux. Notre préoccupation est que ces femmes qui arrivent sur le territoire français ou qui sont déjà en France soient en situation régulière. Cela du point de vue juridique. Du point de vue social, ma fonction est de les accompagner dans des structures d'hébergement. Parce que les femmes immigrées lorsqu'elles arrivent en France restent un mois ou deux chez leurs proches et après elles sont mises à la porte. Elles se retrouvent donc sans toit. Seules ou avec des enfants, je les accompagne pour leur trouver un foyer d'hébergement dans des centres d'accueil. Quels sont les recours que vous entreprenez pour leur régularisation ? Il y a en premier le recours gracieux. Quant un préfet rejette un dossier, nous avons deux mois pour formuler un recours gracieux à ce même préfet en exposant des faits et en me basant sur les lois liées aux séjours des étrangers en France. Si le préfet refuse, on peut faire un recours auprès du ministère de l'Intérieur dans un délai de deux mois. Si l'Intérieur refuse, nous avons encore deux mois pour faire un recours auprès du tribunal. Et si le tribunal refuse la régularisation ? Il y a le Conseil d'Etat. J'ai personnellement envoyé quatre dossiers auprès de cette instance qui ont été acceptés parce qu'il s'agissait de cas très difficiles. Mais, en général, le Conseil d'Etat refuse quand le tribunal administratif refuse. Quel est le profil des femmes que vous recevez à l'association ? L'Asad existe depuis 1995 mais elle est issue du Risfa (Réseau international de solidarité avec les femmes algériennes) créé en mars 1994. À partir de cette date, nous avons reçu des femmes d'un haut niveau intellectuel : des journalistes, des avocates, des universitaires qui étaient menacées en Algérie. Par la suite, le profil des femmes avait changé. Avec la fermeture des consulats de France en Algérie, il y avait moins de visas et donc moins de primo-arrivantes et la demande émanait des femmes victimes de violences. Les femmes immigrées vivant en France subissent également des violences… ll Les femmes immigrées en France sont également touchées par les discriminations du code de statut personnel en vigueur au pays d'origine et également valable en France. Je vous citerai l'exemple du divorce : ce sont des femmes immigrées qui vivent depuis des années en France et dont le mari va en Algérie divorcer. Et le divorce fait en Algérie est valable en France. Ceci grâce à des conventions franco-algériennes. Le mari dit donc à son épouse, “tu dégages, tu es divorcée”. Notre rôle dans ce cas est d'expliquer à ces femme leurs droits. Quant une femme a des enfants, elle reste chez elle et c'est le mari qui sort. Il y a aussi les femmes victimes de répudiation. Le mari va en Algérie, divorce sans que la femme soit présente ni au courant. Il donne une fausse adresse de sa femme. Comment traitez-vous ce genre de cas ? Quand le divorce est prononcé, c'est fini. Nous intervenons pour la pension alimentaire. Vu que c'est un immigré qui travaille en France, nous ne voulons pas de la pension alimentaire donnée en Algérie. C'est le juge aux affaires familiales qui décide de la pension pour les enfants et l'épouse. Quels sont les autres problèmes auxquels sont confrontées ces femmes ? Il y a des familles en Algérie (98% de celles que je reçois) qui marient leurs filles avec des cousins, soit des binationaux ou des immigrés en France. Dans le cas où le mari est binational, la fille vient avec un visa D pour rejoindre son époux en France. Cette femme doit, dès son arrivée en France, se présenter à la préfecture pour avoir sa carte de séjour. Mais les choses ne se passent pas ainsi. Parce que ces femmes, qui vivent dans le domicile conjugal qui n'est autre que celui des beaux-parents, sont séquestrées, privées de nourriture et considérées comme des bonnes à tout faire. Tout cela, en plus du fait qu'on refuse de leur faire les papiers. Elles restent durant des mois, voire une année, dans cette situation et dès qu'elles demandent leurs papiers, elles ne conviennent plus. La belle-famille et le mari les fichent à la porte. Il y a même eu des maris qui ont écrit aux préfets de police pour leur dire que leur épouse a quitté le domicile conjugal alors qu'elle a été jetée dehors pour être expulsée. Dans ces conditions, ces femmes n'ont pas droit aux papiers. C'est-à-dire qu'elles doivent retourner en Algérie. Moi, j'avais appelé deux mamans en Algérie pour leur dire si elles peuvent reprendre leur fille jetée à la rue par sa belle-famille. Toutes les deux m'ont dit que si elle revenait son père et ses frères vont la tuer. Et les filles ont peur que les gens pensent qu'elles ont fait des bêtises. Et c'est là où j'interviens au niveau du préfet pour démontrer que c'est le mari qui n'a pas régularisé sa femme. Et les mariages forcés ? Alors là, le plus gros des soucis que l'on a depuis plusieurs années, ce sont les mariages forcés. C'est un mariage au cours duquel les parents choisissent un mari à leur fille, sans rien lui dire jusqu'au dernier moment. Moi, je pense que les immigrés qui sont venus depuis les années 1970 sont restés bloqués au point de vue traditions à ces années-là. Parce que lorsqu'on va dans les pays d'origine, le Maroc, l'Algérie ou la Tunisie, il y a une évolution des mentalités. Il suffit donc qu'on voit une fille avec des garçons ou qu'elle tarde à rentrer, sa famille pense à la marier. De peur qu'elle sort avec un non musulman, qu'elle aille vivre en concubinage ou qu'elle ait un enfant hors mariage. Comment ont lieu les mariages forcés ? Ils se passent toujours pendant les vacances. Les familles au pays d'origine font pression sur les familles en France. Les mères sont souvent sous la pression des maris. Il y a aussi des mères qui font pression sur les filles. Et quand vient la période du mariage qui a lieu dans le pays d'origine, la première des choses que font les parents est d'enlever les papiers à leur fille. C'est toujours le père qui a le passeport, la carte d'identité et les billets d'avion de sa fille. Et quand les parents reviennent en France, ils rapportent avec eux tous les papiers de leur fille. Ce qui fait qu'elle ne peut pas s'échapper et reste bloquée en Algérie alors qu'elle est née et a vécu en France. Et les femmes victimes de violences conjugales ? On reçoit beaucoup les femmes victimes de violences conjugales. Les femmes battues par leur mari et qui ont des enfants ne déposent pas plainte car elles ont peur que l'Aide sociale à l'enfance (ASE) leur prenne leurs enfants. Car dans un couple où il y a de la violence, l'ASE prend les enfants. Les mamans préfèrent souffrir et recevoir des coups que de perdre leurs enfants. C'est là où l'association intervient pour déposer plainte car en France il est interdit qu'un homme batte sa femme. Il est passible de prison et d'amende. N. M.