En collaboration avec le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), la revue Hommes & Migrations consacre son dernier numéro aux « nouvelles mobilités en France et en Méditerranée ». Ce dossier dont El Watan est partenaire sera publié fin juillet. Il sera suivi par l'organisation par le Cnam d'un colloque sur le même intitulé le 23 octobre à Paris. Paris : De notre bureau La coordination de ce dossier revient à Mohamed Madoui, enseignant de la chaire d'analyse sociologique du travail, de l'emploi et des organisations du Cnam en collaboration avec Marie Poinsot, rédactrice en chef de la revue Hommes & Migrations, responsable des colloques et de l'édition à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration. Marie Poinsot indique qu'avec ce numéro, Hommes et Migrations « poursuit la thématique des migrations et du travail déjà abordée l'automne dernier dans une perspective historique. Cette année, grâce à une collaboration active avec le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), la revue a choisi de traiter ce même thème à travers la sociologie du travail. Selon sa mission de formation professionnelle des adultes qui fut à l'origine de sa création en 1794, le Cnam a souhaité mettre l'accent sur les migrations dans ses programmes d'enseignement tout en donnant plus de visibilité aux recherches menées par ses équipes et ses partenaires sur ce sujet ». Mohamed Madoui a privilégié deux axes : les nouvelles formes de mobilité professionnelle des jeunes d'origine étrangère — principalement maghrébine et subsaharienne — en France et les circulations migratoires les plus récentes sur le pourtour de la Méditerranée. Pour ce faire, Mohamed Madoui a fait appel à des chercheurs français et maghrébins, notamment. Dans le premier volet, on retrouve des textes portant entre autres « Travailleurs sociaux d'origine étrangère en France » ; « Les hussards multicolores de la République », une enquête sur les enseignants issus des migrations ; « Discrimination silencieuse, racisme flottant et gestion de l'indicible » ; « Populations originaires du Maghreb et d'Afrique subsaharienne dans le travail intérimaire en France » ; « Investir en Algérie ou comment est repensé le lien au pays d'origine » ; « Les patrons français migrateurs au Maroc » Le second volet se compose des thèmes suivants : « Le hrague ou comment les Marocains brûlent les frontières ? » ; « Des pateras au transnationalisme, formes sociales et image politique des migrations au Maroc » ; « Circulations transnationales et travail disqualifié au Moyen-Orient : l'exemple des travailleurs non arabes au Liban » ; « Migrations à l'Est. Nouvelles circulations migratoires et figures de réfugiés en Bulgarie » ; « La question migratoire dans les relations euro-méditerranéennes : entre intégration et obsession sécuritaire ». Quête de reconnaissance sociale « Le débat s'est longtemps focalisé en France sur les difficultés d'intégration des jeunes issus de l'immigration que les médias présentent trop souvent comme les nouvelles ‘'classes dangereuses''. Or, de nouvelles figures font leur apparition et connaissent d'autres formes d'intégration au marché du travail (travailleurs sociaux, entrepreneurs, enseignants, militants associatifs, élites politiques). De la même façon, les circulations migratoires ont changé de forme ces 15 dernières années, au point qu'il n'est plus possible de les appréhender indépendamment de la mondialisation. Flexibilité, chômage massif, paupérisation, main-d'œuvre bon marché, travail peu qualifié... l'intensification des mouvements migratoires dans l'espace euro-méditerranéen donne lieu à l'émergence de nouvelles figures, qui se différencient des figures classiques du migrant. Il est intéressant de rendre compte des logiques, des réseaux et des stratégies qu'elles mobilisent pour se fixer, mais aussi des modes de traitement politique et de domination qu'elles subissent au quotidien », expliquent les initiateurs de ce projet. « Ce dossier nous permet d'étudier les trajectoires socio-professionnelles des nouvelles figures de l'immigration que l'on voit apparaître grosso modo à la fin des années 1980, et de dépasser le regard trop stigmatisant des figures de délinquants », indique Mohamed Madoui. Et le sociologue d'observer que les mutations du travail dans le milieu de l'immigration n'ont pas été suffisamment analysées. Il précise qu'« au-delà du chômage et de la précarité de l'emploi, les jeunes d'origine étrangère subissent des discriminations à l'embauche qui rendent problématique leur intégration au marché du travail. Ce dossier interroge certaines mobilités professionnelles dans plusieurs secteurs économiques. Dans leur double relation aux agences d'intérim et aux employeurs, les femmes et les hommes d'origine maghrébine et africaine se trouvent confrontés systématiquement à un processus de stigmatisation et de discrimination qui les conduit, de peur de perdre leur emploi, à intérioriser ces formes plus ou moins explicites du racisme, elles-mêmes génératrices d'identités souillées et blessées. C'est pour échapper justement à cette discrimination que certains jeunes tentent l'aventure de la création d'entreprise, qui apparaît alors comme une dernière chance d'insertion. Ce qui est recherché par ces petits entrepreneurs, c'est d'abord la quête de la reconnaissance sociale et le besoin d'affirmer une identité débarrassée des connotations négatives ». Marie Poinsot nous affirme qu'avec ce dossier, « nous interrogeons, pour une fois, les phénomènes de discrimination, d'un point de vue de leurs conséquences sur les trajectoires professionnelles des personnes issues de l'immigration. Nous sommes sur une problématique de réponse à la discrimination. C'est assez nouveau ». Et d'ajouter : « La France a fini par admettre qu'il y avait des discriminations même si le modèle républicain prône l'égalité des chances. » A travers ce dossier, il s'agit aussi de « montrer la grande diversité de ces parcours et le fait qu'ils concourent finalement à créer une classe moyenne qui, socialement, est équivalente à la classe moyenne issue du mouvement ouvrier, mais qui a ce ressenti de l'immigration », précise encore Marie Poinsot. Un nouvel espace d'échange Quant aux nouvelles formes de circulation migratoire, elles « sont à appréhender sous l'angle de la mondialisation de l'économie, et du coup, la notion de frontière éclate, c'est-à-dire qu'on assiste à des formes de migration qui ne vont pas d'un point A à un point B, mais prennent la forme de mouvements multipolaires », nous précise Mohamed Madoui. « Ces mouvements ne sont pas exclusivement le fait de personnes en échec, mais aussi d'intellectuels, de classes moyennes et aussi de femmes. » « Ces nouvelles formes de circulation migratoire sont motivées par la précarisation ou la paupérisation économique, mais aussi par l'aspiration à cet Occident qui apparaît comme un lieu mythique de réalisation de promotion sociale qui, pour une raison ou une autre, n'a pu être accomplie dans les pays d'origine », ajoute le coordinateur du dossier. Une enquête sur les cadres et les entrepreneurs d'origine algérienne qui investissent dans leur pays d'origine tente de saisir le sens et les enjeux de ces nouvelles pratiques économiques, explique Mohamed Madoui. Marie Poinsot considère que « d'un point de vue géopolitique, on s'aperçoit que la Méditerranée a un peu ce rôle paradoxal d'être à la fois une frontière et c'est aussi le lieu de transfert, de mouvement ». Et elle fait remarquer que le dossier compte deux articles qui portent sur des retours pour des créations d'entreprise, « ce qui montre que ce n'est pas dans un seul sens que le mouvement migratoire s'opère. Il y a donc un nouvel espace d'échange qui se dessine ». Mohamed Madoui appuie : « On assiste à des formes d'aller-retour, à l'arrivée de nouvelles figures du sud vers le nord, et aussi à un retour de cadres ou de jeunes qui souhaitent investir en Algérie ou au Maroc, soit pour exploiter les opportunités d'ouverture vers l'économie de marché, comme c'est le cas en Algérie, mais pour d'autres, c'est aussi parfois la disqualification sociale qu'ils vivent en France qui les pousse à investir dans le pays d'origine. Ce sont des choix par défaut. » Le sociologue observe : « Alors que les pays européens durcissent leurs politiques d'immigration, la question migratoire dans les rapports euroméditerranéens souligne les paradoxes de ces politiques. D'une part, l'intensification de la lutte contre l'immigration clandestine vire à une forme d'obsession sécuritaire ; d'autre part, tous les moyens sont bons pour vider les pays du Sud de leur matière grise. Quelle que soit la dénomination utilisée, immigration “choisie”, “non subie” ou “concertée”, le résultat est le même : maintenir les pays du Sud dans une situation de dépendance et de sous-développement permanents. » Faits migratoires en France et dans le monde Hommes & Migrations, revue bimestrielle de sciences sociales, spécialisée sur les faits migratoires en France et dans le monde depuis 1965, est publiée depuis janvier 2005 par la Cité nationale de l'histoire de l'immigration et devient son outil de réflexion sur les questions contemporaines. La revue a été créée dans les années 1950 par des Pères Blancs qui revenaient du Maghreb et « qui se sont souciés de l'accueil fait aux travailleurs algériens émigrés en France », rappelle Marie Poinsot, son actuelle rédactrice en chef. La revue s'appelait alors Les Cahiers nord-africains, une feuille d'information et de réflexion pour les professionnels de l'accueil des migrants algériens. Hommes & Migrations touche à la fois les chercheurs, les enseignants, mais aussi les travailleurs sociaux, les professionnels qui travaillent dans le domaine de l'intégration et de l'action interculturelle. Elle traite chaque année six dossiers thématiques. Hommes & Migrations, revue de débat bimestrielle http://www.hommes-et-migrations.fr