Les familles recourent à divers stratagèmes en vue de “cacher la honte” du suicide de l'un des leurs pour éviter d'être montré du doigt. “Il ne faut jamais négliger une attitude de prostration qui dure ou des phrases répétées pendant plus de quinze jours du genre : j'en ai marre, je préfère en finir. Il faut absolument tenter de faire baisser la souffrance”, conseille le Dr Zeghib, médecin-chef à l'hôpital Razi de Annaba. Ce centre accueille, depuis 2000, de plus en plus de patients en souffrance mentale ou ayant tenté de mettre fin à leurs jours. Entre 2004 et 2005, ils sont 166 à Annaba à avoir tenté de se suicider et ont été sauvés in extremis. Si les maladies mentales, la drogue et l'alcoolisme sont les causes les plus courantes dans les comportements suicidaires, il arrive parfois que des personnes dont on ne soupçonne pas la dépression passent à l'acte. C'est le cas de cette jeune fonctionnaire de la police qui a mis fin à ses jours, il y a quatre mois, et qui semblait heureuse de vivre, selon ses collègues. En général, ces actes impulsifs sont le fait d'adolescents. 80% des 425 tentatives de suicide, enregistrées depuis 2000 dans la wilaya, sont attribués à des jeunes en mal de vivre. Un chiffre très en deçà de la réalité, selon notre interlocutrice, qui révèle que de nombreux passages à l'acte sont étouffés dans les familles, le tabou du suicide et des maladies mentales dans notre société étant encore très fort. On cache le suicide et le fait n'est révélé, dans la majorité des cas, que lors des autopsies. On craint le qu'en-dira-t-on, le fait que les dépouilles ne sont pas reçues dans les mosquées, “la honte qui retombe sur la famille”. De même que l'hospitalisation en psychiatrie est considérée comme une “tare irrémédiable”, particulièrement pour les jeunes filles. “J'avais peur que la nouvelle se répande et qu'elle ne se marie jamais. Nous l'avons attachée pendant des semaines au pied de son lit avant de nous résoudre à l'emmener discrètement à l'hôpital où elle a été prise en charge”, déclare cette mère dont la fille souffrait d'une maladie mentale qui l'avait menée vers de nombreuses tentatives de suicide. “Nous avons dû utiliser tous les stratagèmes pour que cela ne se sache pas dans notre entourage. Elle est aujourd'hui mariée et mère de famille. Elle prend son traitement en cachette depuis quatre ans et sa maladie ne semble plus qu'un mauvais souvenir.” Les familles déclarent ignorer les raisons du suicide, le tabou étant encore fortement encré dans nos traditions. Un tabou qu'il faut absolument casser si on veut réduire le nombre des suicides, particulièrement par la prévention et la vigilance autour des sujets fragiles. Hafiza M.