Si la mesure introduite par la loi de finances venait à être appliquée ce sont les librairies qui risquent de voir leurs étals se vider, car privées de leur principale source, l'importation. Serions-nous en Algérie sur le point de ne pouvoir lire que ce que les éditeurs algériens produisent ? C'est cette menace qui pèse sur les lecteurs car, à partir du 25 décembre, les opérations d'importation de “matières premières, produits et marchandises destinés à la revente en l'état ne peuvent être exercées que par des sociétés dont le capital social est égal ou supérieur à vingt millions de dinars”. Ainsi en a décidé la loi de finances complémentaire 2005. Cependant, importateurs de livres, libraires et syndicats des professionnels contestent cette mesure qu'ils jugent “injuste”. Le marché du livre ne permet pas de mobiliser une telle somme. L'essentiel provient de l'importation Comme pour les autres produits de consommation, les livres disponibles dans les librairies algériennes proviennent de l'importation. À cela rien d'étonnant. Comme l'indiquent les statistiques de la Bibliothèque nationale (BN), l'ISBN (International Standard Book Number) est la seule indication qui permet l'évaluation de la production nationale d'ouvrages, tous genres éditoriaux confondus. Etabli par le service du dépôt légal de la Bibliothèque nationale (BN), l'ISBN est obligatoire pour chaque éditeur publiant un livre. En 2004, il n'y a eu que 70 titres, édités dans les deux langues, arabe et français, et traitant de toutes les disciplines ! Chiffre arrêté à fin novembre 2004. L'essentiel de la production nationale concernent les manuels scolaires et parascolaires. Alors, et si cette mesure venait à être appliquée, ce sont les librairies qui risquent de voir leurs étals se vider car privées de leur principale source, l'importation. Premier à réagir, le Syndicat professionnel du livre (SPL) — syndicat crée en 2001 — a estimé, dans une lettre ouverte au chef du gouvernement, “ultime recours”, que la conséquence immédiate de cette loi adoptée dans le cadre de la loi de Finances complémentaire pour l'année 2005 sera l'arrêt de toutes les activités liées au livre. “Le marché du livre ne permet pas de mobiliser une telle somme. Nous avions cru qu'avec l'instruction du ministère des Finances selon laquelle seul le 1/5 du capital social devait être mobilisé, qu'une mesure équitable venait d'être prise. Et voilà que cette loi, en complète contradiction avec cette instruction, vient d'être adoptée. Pour nous, c'est vraiment la dernière ligne droite… avant la fermeture”, affirme Radia Abed, présidente du SPL qui regroupe essentiellement des importateurs. Egalement directrice générale de la filiale algérienne des éditions Hachette (France), elle conclut : “Dans le secteur du livre nous n'avons pas le temps de nous ennuyer.” Cette pointe d'humour est une allusion aux divers facteurs qui pèsent sur l'économie du livre dans notre pays : les taxes douanières de 28% du prix d'import, puis leur suppression, la colère qui s'ensuivit des éditeurs qui souhaitaient que les taxes sur les intrants soient également supprimées, les manuels scolaires, une première fois confiés aux éditeurs privés puis réattribués au secteur public… Autre importateur, même constat, mais pour lequel c'est la ministre de la Culture qui constitue “l'ultime recours”. Gérant depuis peu la célèbre librairie des Beaux-arts d'Alger, Boussaâd Ouadi, également gérant de INAS Diffusion, estime dans un courrier adressé à la première responsable du secteur : “C'est grâce à l'activité de l'importation de livres (…) que nous pouvons équilibrer nos comptes et continuer à équilibrer et à alimenter les librairies et les bibliothèques. Notre chiffre d'affaires annuel dépasse rarement les 20 millions de dinars que cette loi nous impose de mobiliser en capital social. (…) L'application de cette loi signifierait à court terme la cessation d'activité de notre société et de nombreuses autres semblables à la nôtre”. Cette loi, souhaitée peut-être comme moyen permettant davantage de contrôle fiscal, présente, cependant, un effet collatéral qui ne fait aucune distinction entre les produits qui traversent les frontières du pays. Ni le caractère éducatif du livre ni les moyens financiers des opérateurs n'ont pesé dans la balance de la prise de décision. Car le livre, étant aussi un “produit importé et vendu en l'état”, est bien entendu concerné par cet amendement. Un capital social de vingt millions de dinars, cela peut être à la portée des importateurs algériens mais pas ceux qui ont choisi d'introduire cet indispensable vecteur du savoir, le livre. À ce sujet, le libraire et importateur, Boussaâd Ouadi, s'interroge sur la part que représente la production nationale dans la consommation culturelle en Algérie. “L'apport de cette production est très faible. Aucun pays du tiers-monde n'est en mesure de satisfaire la consommation intellectuelle intérieure.” La crainte des libraires Fatiha Soal, présidente de l'Association des libraires algériens, estime que cette mesure est “une catastrophe. Ce sera la dictature des prix. L'importation de livres représente la quasi-totalité de ce que nous proposons aux lecteurs”. Et les conséquences ? “Un retour au monopole des détenteurs d'argent, ce qui va à l'encontre de la diversité.” Il reste une question en suspens. Malgré ces alertes et ce pessimisme partagé, la ministre de la Culture semble, en revanche, bien optimiste. Lors de la journée d'étude sur le livre et la lecture publique, tenue ce mois-ci, Khalida Toumi a annoncé que 14 annexes de la Bibliothèque nationale seront ouvertes dans les prochains mois et que 1 500 bibliothèques communales accueilleront les lecteurs de l'ensemble des communes du pays d'ici la fin de l'année prochaine. Mais avec quoi va-t-on remplir ces structures qui seraient les bienvenues du reste ? SAMIR BENMALEK