Il n'existe pas de langue pure ni de langue autonome. À des degrés différents, les langues sont complémentaires. L'interconnexion des cultures, les rencontres entre les hommes, quelle que fût la cause ou la raison (guerre, colonisation, commerce, etc.), ont de tout temps induit des interactions par les mots. Ce qui peut paraître étrange, c'est la capacité qu'ont ces “mots voyageurs entre les langues”, plus communément appelés du nom scientifique : les emprunts, à s'acclimater dans le ou les systèmes des langues réceptrices. Au-delà des aspects strictement scientifiques (linguistiques), nous retenons volontairement ce qu'ils peuvent suggérer comme rapprochements humains. Les mots voyageurs jouent peu à peu le rôle de connecteurs entre les langues. Ils tendent à former le vocabulaire international. C'est cette tendance qui éveillera chez bien des spécialistes l'idée de mettre au point une sorte de langue universelle par le truchement d'une standardisation, d'une terminologie scientifique et technologique. Déjà en 1887, Zamenhof, linguiste polonais, établit une langue internationale dite espéranto. Cette langue repose sur le maximum d'internationalité des racines et l'invariabilité des éléments lexicaux. Le projet repose sur le sens précis et la stabilité des mots quelles que soient leurs combinaisons. L'initiative demeure d'actualité et la marche vers la construction d'un village planétaire a ses exigences. La langue technique s'installe doucement mais sûrement dans l'univers culturel. L'ère de la cybernétique s'est édifiée. Alors, et à notre corps défendant, de par le monde nous subissons un bouleversement dans le paysage linguistique par la force des évolutions et des inventions. Une forme de distribution des domaines réservés à des langues s'est imposée. Nous courrons alors inévitablement le risque d'une uniformisation de la pensée par le nivellement d'une langue commune dite espéranto. Que serait alors le monde sous cette forme d'arasement ? Voilà, malheureusement, un sujet absent des grands débats sur le devenir de la société humaine en matière de diversité linguistique. Nous nous posons la question de savoir quels sont réellement l'impact et la puissance d'effet des lois et des dispositions votées, presque à l'unanimité des Etats membres, par les institutions internationales telles que l'Unesco ? Quelle réponse donner pour établir un équilibre entre la science et la technique, comme instruments et exploits utiles de l'homme pour l'homme, et la nécessaire préservation et le développement des langues naturelles ? Le voyage des mots a été en cela porteur de bien des transformations. A. A.