Les sévices sexuels sont en nette progression. Dans beaucoup de cas, les auteurs sont les conjoints. Sans doute faudra-t-il un millier de séminaires d'information et autant de campagnes de sensibilisation pour que le phénomène des violences à l'égard des femmes soit hissé au rang de problème de santé publique. Qualifiées de goutte dans l'océan, les statistiques rendues publiques régulièrement par les services de sécurité sont largement préoccupantes. La fulgurance avec laquelle les chiffres montent révèle un drame incommensurable. Chacun mesure l'ampleur des sévices à son échelle et avec les moyens du bord. Les associations jaugent les traumatismes. Les services de police se contentent de recueillir les plaintes et de les transmettre aux tribunaux. Très souvent, les dénonciatrices reviennent sur le contenu de leurs dépositions, une fois arrivées devant le juge. La pression familiale et sociale et la peur de l'avenir les amènent à se rétracter. Si bien que les plaintes originelles redeviennent une simple comptabilité que les militantes des droits des femmes, en panne d'informations, brandissent régulièrement en guise de cri d'alerte. Il en a été fait cas hier, lors d'une journée d'étude sur les violences sexuelles, co-organisée par SOS femmes en détresse et la fondation allemande, Friederich Ebert. Comme à son habitude, Kheïra Messaoudène, responsable du service de la protection des mineurs à la direction générale de la sûreté nationale (DGSN), a parlé le langage des chiffres, assurément, le plus percutant. En 2004, les commissariats implantés à travers le pays ont enregistré 7 197 plaintes. 4 681 portent sur des violences physiques, 2 250 ont pour objet les mauvais traitements, 250 font référence à des violences sexuelles et 16 ont pour origine des homicides volontaires. L'année qui vient de s'écouler n'est guère meilleure. Durant son premier semestre, 3 291 cas de violences ont été dévoilés aux services de police. 2 308 ont trait à des brutalités physiques, 827 à des maltraitances, 143 à des sévices sexuels et 13 sur des homicides volontaires. Au cours des six premiers mois, l'ensemble des violences avait abouti à 3 741 plaintes, dont une partie concernant les viols. Il est de tradition de croire que les violences sexuelles sont le fait d'étrangers. Ce n'est pas l'opinion de Mme Messaoudène, qui assure que le plus grand nombre des agresseurs se trouve dans la famille, notamment dans le couple ou le conjoint devient violeur. L'histoire de DM est illustrative de cette souffrance que les femmes dissimulent sous le poids de la religion, des traditions et de la pudeur. Son mari alcoolique la contraignait à des rapports sexuels, assortis de séances de torture. “Il l'a électrocutée au niveau des organes génitaux”, relate Mlle Menaceur, praticienne au centre d'écoute et d'aide psychologique et juridique de SOS femmes en détresse. Aujourd'hui, MD a réussi à s'en sortir. Avec l'aide de ses sœurs, elle s'apprête à aller vivre en France où elle a passé son enfance. “Pendant des années, elle a enduré en silence les sévices. Sa famille étant loin, elle s'est sentie livrée à elle-même”, explique le Dr Menaceur. MD doit son salut à SOS Femmes en détresse où elle a trouvé refuge avec ses enfants. Mais combien d'autres femmes ont cette chance? L'analphabétisme et la pauvreté font que la plupart des victimes ignorent l'existence de l'association. “Nous faisons paraître des placards publicitaires, mais beaucoup de femmes ne savent pas lire. D'autres n'ont pas d'argent pour appeler”, observe Sabrina Ouared, chef de projet à SOS femmes en détresse. Aussi, le nombre d'appels recensés par les psychologues sont-ils dérisoires. Depuis 2000, un peu moins d'une centaine de viols conjugaux ont sollicité l'aide du centre d'écoute. Certes, depuis 5 ans, les chiffres ont doublé, mais ils n'illustrent pas la réalité. “La violence sexuelle est la plus difficile à cerner”, souligne Faïka Medjahed, médecin à l'INSP. Confuses, des femmes ne savent pas où s'arrêtent les droits de leurs époux en matière de demande sexuelle. “Le coran dit que l'épouse doit se tenir à la disposition de son mari”, remarque une sage-femme. Se croyant tout permis, le mâle cède à ses lubies, quitte à humilier sa partenaire et la brutaliser. “Souvent, nous assistons à des accouchements prématurés à cause des violences sexuelles”, confie encore la sage-femme. Le vide juridique concernant les viols par les maris, interpelle les juristes. Pour sa part, le Dr Abbas, médecin légiste au CHU de Bab-El-Oued, déplore l'absence d'expertise pour la réparation des victimes. “Le temps est l'ennemi des légistes”, regrette-elle. Pour cause, si elles ne sont pas constatées à temps, les violences sexuelles laissent peu de traces. Que faut-il faire alors pour porter secours aux victimes? Les spécialistes tâtonnent. Selon M. Aït Amara, sociologue, une femme sur quatre est battue. Comment le vérifier ? La mise en place d'un numéro vert est un pas. C'est une avancée que les télécoms hésitent toutefois à accomplir. SAMIA LOKMANE