Les baguettes magiques des fées qui se sont penchées sur son berceau s'appelaient haouzi, chaâbi, kabaïli, andalousi, reggae, rap, et une Française, une Russe et une Espagnole. Elles lui ont transmis l'art de chanter dans leur registre ou dans leur langue. Classique ou moderne, sanaâ ou berouali, Hamidou, allure d'éternel jeune étudiant tout droit sorti du campus, a charmé son auditoire, dimanche soir à l'auditorium de la Radio nationale, par un concert célébrant ses vingt ans de carrière. Une noubète ghrib exécutée de main de maître a servi de prélude au concert ; parcourant toute l'octave, les quatorze phrases musicales crescendo et decrescendo ont mimé, prodige de la musique, le jet d'eau décrit par Zyriab. Décontracté, souriant, le chantre du haouzi fait son entrée sur scène interprétant d'emblée Mazal haï mazal. Sa présence, son aura, son charme, galvanisent le public qui, dès les premières notes, s'éveille et bat des mains ; l'ambiance s'installe dans une salle archicomble (malgré le temps pluvieux et froid). Courtoisie et fair-play des personnels et agents de sécurité qui ont canalisé la foule et réussi à installer le public, à majorité jeune. Sidi Abderrahmane et Sidi Ramdane renaissent, ainsi que Belcourt, La Casbah et Bab Djedid, mêlés de Maya et H'sine, au gré des strophes nostalgiques d'une complainte de l'exil ou du bannissement : Touahecht homti. El Ghorba que tant d'Algériens, depuis Dahmane El Harrachi, ont stigmatisée dans leurs chants du désespoir. S'ensuit une chanson haouzi Samah ya aïn (registre de Fadéla Dziria), admirablement interprétée dans le plus pur style féminin algérois, suivie d'une qadria, Ya oua'di ma bqa fe dounia, ya hasrah ‘ala el ghram. Avec une aisance et une agilité déconcertante, Hamidou “surfe” de l'andalou au haouzi, du moderne au classique ; il enchaîne les chansons légères, gaies, parfumées et colorées comme savent l'être les chansons sentimentales : N'sab maâ el mlih lila Ma fiha bess Ouahrane El Bahia, pour entrer majestueusement, et de plain-pied dans un khlass andalou : Ya racha el fettêne. Parfaite maîtrise des instrumentistes, pendant que le “fou chantant” (après tout, M. Trenet est mort !) passe d'un registre à l'autre, sans encombres, la derbouka de Nacer Zaki marque le tempo à trois temps tac-tac-boum. Escapade ‘asria avec Qoulou ya nass, puis immersion profonde dans une qacida andalouse A bouya h'nini tab qalbi man qoulet lêla. L'ambiance est électrique et la salle surchauffée ; les youyous longs, modulés, stridents, fusent de toutes parts ; celui d'une jeune fille au timbre particulièrement aigu, entamé en solo, force l'admiration du public qui l'applaudit ; les percussionnistes rivalisent d'adresse et de sonorités, et le tar, entre les mains de Krimo vibre et tinte à la fois ; la salle est en liesse et les jeunes filles dansent dans les travées. Après le berouali A mel meli chta qalou fiya, la célèbre chanson kabyle Chtah chtach ettaous, déchaîne des hurlements, des vivas, des sifflets et des youyous ; de jolies jeunes filles enroulent leurs hanches de foulards et se laissent emporter par le rythme du refrain, scandé par trois cents voix à l'unisson. Sans transition Ah ! qu'elles sont jolies les filles de mon pays de Gaston Ghenaïssia (alias Enrico Macias), avec quelques distorsions toutefois qui vont droit au cœur de la gent féminine : Ah ! qu'elles sont h'louine Ah ! qu'elles sont fahlate... les filles de l'Algérie... Remake, revisité, revu et corrigé, timbre de velours en sus, arrosé de miel, la voix de l'élève a supplanté celle du maître, bravo ! La dernière partie du concert ravive toutes les nostalgies : El Barah (Guerouabi) en passant par une rumba Lamouni elli gharou menni, puis un langoureux tango Moulate al aïn ezzarqa. Une mélomane, au premier rang, sollicite le chanteur : Ach douak ya taleb ? (l'artiste obtempère “tout de suite”, consulte son grimoire et entonne la célèbre complainte. Magistrale interprétation, digne du maître qui l'interpréta il y a un demi-siècle : Dahmane Ben Achour. Soudain, la salle se calme, un silence recueilli, sépulcral, tombe, puis tombent l'envoûtement et le charme qui s'emparent des esprits, la voix mélodieuse, claire et forte à la fois, décline le chant désespéré de l'amoureux transi éconduit... Pendant que la s'nitra de Sid-Ali vocalise encore et encore, les pianos, sous la houlette de Redouane Boutriche et Hamza Youcef, se renvoient la réplique par istikhbars interposés. Sid-Ali Zerdoud au banjo et Abdelghani Mokhtari au violon ont complété cet orchestre digne des plus grands. Halim au ney, Halim le zornadji, Halim qui, tout au long de l'année, accompagne chaque “aroussa sortant de dar babaha”, Halim s'empare de sa zorna et accompagne Hamidou pour un Bqaou ‘ala kheir claironné à la ronde ! Happy birthday, Hamidou ! N. S.