Il est difficile de parler de Jean El Mouhoub Amrouche sans avoir une pensée à sa mère Fadhma ou encore à sa sœur Taous. À eux trois, rassemblés plus dans leur mission intellectuelle que dans le cadre familial, ils forment un tout, et ce qu'ils ont de commun, c'est cette permanente affirmation et revendication de soi dans un monde où se côtoient et ce concilient intelligemment deux cultures : la culture algérienne de Kabylie et la culture française. Il dit ne pas s'appeler en demi-nom. Il refuse de s'appeler Jean-Amrouche ni El Mouhoub Amrouche mais totalement Jean El Mouhoub Amrouche. Assurer sa patrie, sa culture et ses racines d'origine dans un espace fascinant, envoûtant et magnétique, et qui plus est amplifié par la réussite sociale, est l'expression d'un engagement profond et d'une vérité absolue. Jean El Mouhoub Amrouche ne s'est pas contenté de recevoir un héritage culturel séculaire. Il l'a assumé, comme disait Mammeri, jusqu'aux tréfonds de sa conscience où se mêlent la fascination et la passion. C'est dans son ouvrage de référence L'Eternel Jugurtha, publié en 1946 dans le n° 13 de la revue l'Arche, qu'il le déclamera. À longueur de texte, Jean revendique sa berbérité de toute l'Afrique du Nord. Plus que d'un simple prétexte historique, du prestigieux nom du roi, il disait : il y a 18 millions de Jugurtha. Sa quête de demeurer soi-même tout en avançant avec les autres, il l'expliquera dans un de ses textes où il dit : “La lutte que je mène porte sur les simples droits d'être soi et non l'image gauchie d'un maître, le droit d'appartenir à une communauté naturelle, d'y être un homme à part entière par droit d'humanité et de porter son propre nom, de jargonner sa propre langue dans la patrie des aïeux.” Jean Lmouhoub Ouamrouche considérait l'entrée dans la culture française comme la première porte qui s'ouvrait soudain devant lui sur l'utile universalité. Sa vie durant, il tâchera d'écarter encore un peu plus “l'entrebâillement de la porte” qui donne sur le monde. Cette insistance à dire et à faire savoir qu'il appartient à deux mondes, certes antagoniques à un moment de l'histoire, le place sur le chemin de la fidélité et d'une mosaïque d'amour. Il a su imposer à la différence la connaissance et de la découverte de l'autre. Il dit à propos : “À force de tâter toute les blessures de la différence, de vivre déchiré sur le tranchant qui césure le nous des autres, je finis par être mal assuré de mon identité. Je sais mieux, si toutefois j'avais pu l'oublier, qui sont mes frères : ceux qui confessent Dieu et reconnaissent l'homme.” La France de Jean Amrouche était la France “concrète, la France mythique aussi, la France réelle”, disait-il. L'autre France, c'est-à-dire la coloniale, Jean la combattra à sa manière et au cœur même de certaines de ses structures officielles comme la RTF (la Radio Télévision française) où il animait le journal parlé. Il en sera limogé pour ses positions en faveur de son peuple algérien combattant. Il écrira dans Témoignage Chrétien : “Les jeunes Algériens meurent depuis trois ans, et il est résolu à mourir aussi longtemps qu'il sera nécessaire de reconquérir une partie qui soit la leur, à laquelle ils puissent appartenir corps et âme et qui ait son nom et sa place, humble ou glorieuse, il importe parmi toutes les patries humaines.” L'attachement à sa patrie et à sa culture est magistralement annoncé dans un de ses poèmes avec des mots que seul lui savait dominer : “Je n'ai rien dit qui fût à moi, je n'ai rien dit qui fût de moi. Ah dites-moi l'origine des paroles qui chantent en moi.” Ce n'est point ici l'expression du désir du retour aux sources... mais plutôt une affirmation de s'y enivrer jusqu'à s'y noyer. A. A.