Jeudi soir à la salle Ibn Khaldoun, le monstre sacré du disco, du moderne, du kabyle, du raï et de l'oriental, Hassiba Amrouche, a déferlé, dans une tornade musicale, deux heures durant, emportant, dans une ivresse collective, quelques centaines de personnes consentantes. La salle de spectacle s'est transformée en salle des fêtes ce soir-là ; presque tous les sièges sont vides, et pour cause : le public danse. Jeunes femmes et jeunes filles en majorité, et jeunes gens ; beaucoup d'enfants également. L'artiste, pantalon noir moulant et tee-shirt noir pailleté, longue queue de cheval, investit la totalité de la scène comme le font les stars du disco ; micro en main à l'intérieur duquel elle rugit, elle accompagne ses chansons d'une gestuelle voulue telle un langage ; tout en elle s'exprime : ses cheveux, ses bras, ses jambes, ses hanches. Selon le morceau interprété, Hassiba n'hésite pas à se lancer dans un j'dib endiablé comme pour solliciter la transe et la communiquer à un public au bord de l'apoplexie. L'allée centrale et la fosse d'orchestre se sont converties en piste de danse ; les femmes et les jeunes filles, sans distinction, les voilées, les enturbannées, les chapeautées, les emmitouflées, les entchadorées, toutes vacillaient, se déhanchaient, piétinaient, se contorsionnaient ; toutes ont succombé aux rythmes endiablés et à la voix de stentor qui, a aucun moment, n'a faibli. Registre kabyle en entrée, pour lequel le public reprend en chœur les refrains : Akenass el henni Sath Ouarthilane El Ouard ifiress, entre autres, puisés dans les chants féminins du terroir ou dans le répertoire de la grande Chérifa. Le Djurdjura fut à l'honneur pour une bonne partie du concert : Ah a ya zerzour et quelques chants chaouis. Evocation des années post-indépendance avec Elli bla Yaâf (Meriem Abed) Ma hadrouche batal alik ennass (Seloua) et Nesthel el kia ana li bghit (Lachab) ou, plus près de nous, des reprises de Fella Ababsa et de Mourad Djaâfri : Rani djaï et Baghi nseblek ya omri ; détour par l'Oranais Blaoui el Haouari avec Ya el gomri, et raï endiablé avec la célèbre Joséphine de Réda Taliani ; beaucoup de succès des années 1960 et 70 avec Ya mma (Rabha) par exemple. Des chansons khalidjies et libanaises ont saupoudré ce répertoire exceptionnellement varié, avec, cependant, une prédominance nettement marquée pour la chanson kabyle. L'orchestre, aussi énergique et aussi performant que la chanteuse, mérite chapeau bas : deux synthétiseurs, deux guitares électriques, une batterie, une percussion et deux solistes ont contribué à la réussite de cette soirée pour le moins mouvementée ! Le chant patriotique Farha ou zahoua clôt le concert ; des jeunes installent leur enfant sur leurs épaules et dansent, comme pour imprégner les petits de l'ambiance folle de cette soirée inoubliable. Meriem, à ma gauche, déclare, admirative : “Gourziha n'hass !” (son gosier est de cuivre !) Dans le parler fleuri cherchellois, le compliment est de taille… Samia à ma droite, doit rentrer à Gouraya, et il est tard ! Arrivées dehors, nos oreilles bourdonnent encore. Bravo Hassiba ! NORA SARI