La réimpression des caricatures publiées par un quotidien danois par d'autres journaux européens est réputée exprimer l'attachement des professionnels de la presse occidentale à la liberté d'expression. L'intrépidité de cette manière de se solidariser contraste avec les condamnations et les plaidoyers pour le respect des croyances émis par les politiques de l'Occident. Ceux-ci sont ainsi contraints à des prouesses sémantiques pour concilier leur égard pour la liberté d'expression et leur désapprobation de l'usage inconsidéré qui en est fait dans tel cas. Entre les deux sociétés, politique et médiatique, l'élite se confine à un silence prudent. N'osant contrarier une Europe médiatique visiblement corporatiste, les intellectuels ne souhaitent ni s'aliéner les faiseurs de réputations ni affronter l'intransigeance des forces islamiques irritées. Leur mutisme actuel contraste avec leur disponibilité verbale quand il s'est agi du lynchage d'un certain Dieudonné jugé et condamné par l'immense tribunal populaire pour avoir exercé sa liberté d'expression au détriment du monde judaïque. La société qui pense et s'exprime et la société qui publie et diffuse se sont, à cette occasion-là, rejointes dans la détraction, puis l'excommunication de l'artiste. Auparavant, l'Abbé Pierre, qu'il est difficile de soupçonner de malveillance, avait connu ce genre de soulèvement unanime. En comparant la réaction des élites de la société civile dans chacune des deux crises, on peut être effrayé : l'intelligence peut se soumettre à la peur. La peur de l'agression violente et la peur de l'agression médiatique. On savait que la menace islamiste était terrifiante. Mais la presse, en Occident, quand elle se drape d'irrédentisme fait peur aussi à la société civile : elle l'enrôle ou la désarme, selon le cas. Elle n'est alors plus un quatrième pouvoir ; elle devient une puissance. La presse privée algérienne a eu à subir les retombées de ces alignements sur le plus menaçant, du temps où médias et intelligentsia, sur l'autre rive, et islamisme sur cette rive-ci, étaient, pour une grande partie, associés dans le slogan du “Qui tue qui ?” La moindre allusion au terrorisme islamiste nous valait le reproche infamant de couvrir les crimes du pouvoir. Aujourd'hui, l'emprisonnement de Benchicou pour deux ans n'émeut pas beaucoup de nos confrères, là-bas, qui en rajoutent une couche de caricature, la couche de trop, quand il s'agit de narguer la protestation islamique. Hier comme aujourd'hui, c'est une liberté qui, indirectement, s'exprime au profit de l'intégrisme. Et c'est la liberté de presse en terre d'Islam qui, en premier, en pâtit. Dans un contexte mondialisé où il s'agit de défendre la liberté d'opinion, qui englobe les libertés de presse et de culte, on observe, à l'Ouest, une stratégie, maladroite et agitatrice, de défense de la seule liberté européenne d'expression. M. H.