Le 11 février 1996, une bombe explosait à proximité de la Maison de la presse à Alger. Le bilan de cet attentat, comme tous ceux qui l'on précédé, a fait plusieurs morts. Parmi les victimes, des journalistes surpris dans la salle de rédaction. Cela fait donc dix années que Alloua Aït Mebarek, Djamel Derraza et Mohamed Dorbhan sont allés rejoindre les dizaines de milliers d'Algériens, journalistes ou pas, qui les avaient devancés dans une mort programmée. Le souvenir est alors évident. Mais la mémoire est une chose bien capricieuse et versatile. Il était naturel que l'on se rappelle que Mohamed Dorbhan, né en 1956, journaliste, chroniqueur, caricaturiste et surtout père de famille, est mort alors qu'il rédigeait un billet ou, peut-être, esquissait un dessin dont la seule prétention était d'essayer de soutirer un sourire tandis qu'à cette époque-là, tout incitait au contraire. À l'Espace Noun, où un hommage lui est rendu en présence des membres de la famille du journaliste, l'évocation était au rendez-vous. Depuis samedi et jusqu'à jeudi prochain, dans cette librairie d'Alger, des chroniques et des dessins du journaliste sont offerts au regard du public. Une belle affiche, signée Abdellah Daho, sur laquelle on reconnaît la silhouette de Dorbhan, noire, projetée comme une ombre chinoise, invite à la (re)découverte de l'homme et de son travail. Et la découverte est certainement la dizaine de toiles, œuvres de Mohamed Dorbhan. Noircies à l'encre de chine ou illuminées par quelques touches colorées, figurant un triangle omniprésent, ces toiles indiquent bien qu'il était donc également peintre, le journaliste. Lui, qui souhaitait également terminer l'écriture de son roman. Mais la mort l'en a empêché. Au commencement donc du souvenir, une lecture a été faite de certains passages de ce roman qui jamais ne connaîtra d'épilogue. Comme il est écrit dans la brochure éditée à cette occasion, Mohamed Dorbhan a inventé “la gomme qui écrit”. Car ses dessins et son Krokodine, titre générique de sa chronique, malgré les oublis conscients ou non, sont autant de témoignages qu'un homme a vécu et que d'autres, hommes et femmes, tentent de s'en souvenir. Jeudi prochain, au sein du même espace, une autre lecture sera donnée de l'œuvre inachevée de celui qui a choisi deux modes d'expression, les mots, les dessins, qu'ils soient noirs de poudre comme la bombe qui lui a ôté la vie ou bien colorés comme les journées auxquelles il aspirait. Mais Mohamed Dorbhan, comme l'a si bien dit un photographe qui l'a bien connu, “n'est plus dans la vie”. Mort qu'il n'a évidemment pas choisie. Et toujours dans la même brochure, cet affreux constat : “Maintenant que la feuille de Mohamed Dorbhan est rouge de sang, maintenant que Mohamed Dorbhan n'a plus de mains pour s'expliquer, maintenant que Mohamed Dorbhan n'a plus à choisir (…)”. S. B. Espace Noun 37, rue Mustapha-El Ouali (ex-Debussy) exposition visible jusqu'à jeudi *Le titre et les citations sont de Chaouki Amari