On ressent encore la douleur de la gifle en relisant les propos de Catherine Colonna, porte-parole de l'Elysée. “La visite du président Bouteflika entre dans le cadre de la préparation de la visite du président de la République dans un mois”, disait-elle mercredi. Relisons bien cette déclaration. A Jacques Chirac, on confère le statut de président de la République. Du Président Bouteflika, on se contente de citer le nom. Dans un milieu où chaque mot pèse, on ne peut imaginer qu'il s'agisse là d'une simple incartade de style. Diable ! Bouteflika serait allé à Paris pour faire le factotum de Chirac ! Quelle humiliation ! Depuis quand un chef de l'Etat se déplace-t-il à l'étranger pour préparer la visite de son homologue chez lui ? Les discussions entre les deux hommes, on s'en doute, n'ont pas tourné autour du nombre de couverts à dresser lors du dîner officiel ou de l'âge du Bordeaux que les convives auront à déguster. Mais les mots ont un poids et les propos de Mme Colonna choquent. Ils choquent parce qu'ils constituent une gifle pour les Algériens. Que les choses soient claires : nous ne réagissons pas par un trop-plein de nationalisme ; encore moins par un quelconque sentiment de francophobie. La déclaration de Mme Colonna est de celles qui vous rabaissent le chef de l'Etat au rang d'un intendant. La souveraineté d'un pays tient parfois à ces petits détails, à ces petites phrases qui peuvent faire mal. En la circonstance, ce détail blesse. Avant même qu'il n'ait été élu, Abdelaziz Bouteflika a fait de la restauration de l'image de l'Algérie et de la fonction du chef de l'Etat un credo. Voire même ce label qui puisse le différencier de ces prédécesseurs, qu'il n'a pas hésité à jeter en pâture, au mépris de l'éthique. A trop vouloir bien faire, Bouteflika a fini par dévaloriser son statut. Que de fois ne l'a-t-on pas vu recevoir devant les caméras de la télévision nationale des sous-secrétaires d'Etat et des personnalités sans grande envergure ! Que de fois ne l'a-t-on pas vu déroger aux règles de protocole en recevant devant le perron de la présidence des émissaires dont l'accueil aurait pu être assuré par un fonctionnaire de ministère ! C'est qu'il y a dans les tentations “bonapartistes” de Bouteflika une dérive qui nuit gravement à l'image d'un chef de l'Etat telle qu'elle est universellement comprise et admise. On ne peut prétendre incarner la stature d'un Président lorsqu'on veut à tout prix être, à la fois, chef de l'Etat, Premier ministre, ministre des affaires étrangères, directeur de la télévision et rédacteur en chef de l'APS. Au pire, cela s'appelle de l'usurpation de fonction, au mieux, une atteinte au sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs. Hier, on apprenait que la présidence française avait dépêché en Algérie un émissaire, élevé au rang d'ambassadeur, pour préparer le déplacement de Jacques Chirac dans notre pays. L'émissaire se trouve en Algérie depuis une quinzaine de jours. Deux envoyés spéciaux pour une même mission. Convenons qu'au change, l'Algérie perd beaucoup. Elle perd un peu plus de son honneur. F. A.