Les experts de l'Unesco, en visite à Tipasa du 5 au 7 mars derniers, ont certainement profité de la belle saison pour s'en prendre pleins les yeux. Coincé entre la montagne et la mer, entre le vert de la plaine ou de la montagne, et l'azur méditerranéen, le paysage de cette région d'Algérie est à lui seul un patrimoine à la valeur inestimable. Même sans les amphithéâtres et les thermes romains même sans le mausolée royal de Maurétanie dont on ne sait pour quel roi il a été construit. Mais ces techniciens de l'agence onusienne n'ont pas fait que regarder l'écume des vagues qui rajoutent le blanc à la palette tipasienne. Classés une première fois patrimoine mondial en 1982, les trois sites archéologiques ont été qualifiés en 2002 de “patrimoine en péril”. Et c'est ce “péril” que sont venus constater les techniciens de l'Unesco. En 2003, le conseil international des monuments et des sites écrivait que “si l'on considère le fait que l'intérêt pour le patrimoine a enregistré un progrès considérable au niveau mondial, il est aisé de conclure que l'Algérie stagne sous l'inertie d'une sensibilité héritée, et n'a pas développé ses propres facultés pour apprécier son patrimoine à sa juste valeur”... Mais comme il fallait s'y attendre, cette appréciation n'est pas du goût du responsable de la culture de la wilaya de Tipasa qui affirme que “le classement de ce site en péril est la conséquence d'un malentendu. Cette appréciation a été faite sur la base du plan de sauvegarde et de la mise en valeur de Tipasa réalisé en 1992 et qui ne prévoit que la préservation de la ville coloniale, mais pas celle des sites archéologiques”, atteste Nourreddine Sahi, selon lequel un tel “non-sens” a été rendu possible à la faveur du vide juridique qui existait à cette époque, durant laquelle une seule loi, celle de 1967, réglementait la gestion du patrimoine culturel national. Il reste vrai que ce document élaboré conjointement par l'atelier du patrimoine de la ville de Marseille, l'Unesco et l'Agence nationale d'archéologie, même élaboré en 1992, contient quelques phrases qui rappellent un passé où il ne pouvait être question de lois algériennes. Il est écrit dans ce plan de sauvegarde, sur lequel se sont basés les experts de l'Unesco pour classer Tipasa site en péril, par exemple que la “ville coloniale, bâtie sur l'ancienne ville romaine ensevelie (…) n'a subi aucun effet arabisant” ou encore plus loin, il est fait référence aux “lois de 1913 et de 1930 applicables en France”. La fibre patriotique, dans de telles situations, est toujours facilement mise en éveil : “Que souhaitons-nous préserver ? La ville coloniale ou les sites archéologiques ? C'est ce rapport qui nous a mis dans de sales draps ! Il s'agit là d'une question de souveraineté nationale”, s'interroge le directeur de la culture dont les services sont chargés de la préservation des sites, tâche qui relevait jusque-là des prérogatives de l'Agence nationale archéologique. Au sujet du classement “patrimoine mondial”, ce responsable souligne que le rôle de l'Unesco se limite au seul aspect technique, et les financements, jusque-là injectés pour la préservation des sites, sont entièrement algériens. Mais depuis juin 1998, la préservation du patrimoine culturel s'appuie sur de nouvelles bases juridiques. Le directeur de la culture est, quant à lui, certain : “J'estime que la question du site archéologique classé en péril n'est plus d'actualité”, car, explique-il, en plus de cette loi de 1998 et ses textes d'application, la wilaya de Tipasa dispose enfin d'un plan cadastral. Ces deux éléments, loi et plan cadastral, ont donc permis de circonscrire les sites classés patrimoine mondial : le parc archéologique Ouest, celui de l'Est et le mausolée royal de Maurétanie. Mais si l'équivoque semble être levé sur l'identification des sites, il reste vrai aussi que les experts de l'Unesco ont relevé l'existence de bâtisses à l'intérieur des sites. Comme cette caserne de la garde communale construite tout près du mausolée royal, léguée en héritage par les années de terrorisme qui n'ont pas épargné cette région montagneuse. Et ce musée qui peut sembler à première vue le bienvenu dans un espace où la mémoire est à chaque instant. Mais malheureusement n'y entre pas qui veut. Ce musée n'ouvre ses portes et ne dévoile ses richesses qu'aux seules délégations officielles. Les autres, les “non officiels” se contenteront du superbe panorama essayant de deviner qui dort dans cet édifice de 70 m de diamètre érigé sur une crête des collines du Sahel qui domine la plaine de la Mitidja. En attendant que des spécialistes trouvent enfin l'identité du noble défunt, l'Algérie s'est engagée à sauvegarder son patrimoine historique. À ce titre, les familles des gardiens, qui occupent les logements des sites, seront “relogées”. Les techniciens de l'Unesco trancheront lors de leur prochaine session du mois de juillet 2006, sur la question du maintien du site de Tipasa, sur la liste des sites en péril, ou sa réintégration dans sa liste initiale. Rien encore n'est gagné, malgré les efforts financiers et une extension urbaine orientée vers les hauteurs afin de préserver ces sites. Classé patrimoine mondial ou non, le roi numide inconnu continuera lui à s'étonner pourquoi on appelle son mausolée le Tombeau de la chrétienne. SAMIR BENMALEK