“Non à l'oubli et au déni de justice” est le slogan leitmotiv des familles de victimes du terrorisme qui occupent la rue pour dénoncer les dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Des associations de femmes (rassemblement algérien de femmes démocrates - Rafd ; Collectif femmes du MDS ; Bnat Fadhma n'Soumer, Association du printemps noir) et des organisations des familles de victimes du terrorisme, principalement Djazaîrouna, ont manifesté, hier à la place de la Grande-poste, pour commémorer la marche des femmes contre l'intégrisme du 22 mars 1994 et se recueillir à la mémoire des citoyennes assassinées par le terrorisme. Le lieu du rassemblement a été quadrillé, tôt le matin, par un impressionnant dispositif de sécurité. Une centaine de personnes, arrivées essentiellement de la Mitidja, a été bloquée à la sortie de la gare ferroviaire d'Agha, selon Chérifa Kheddar, présidente de Djazaïrouna. “Je n'ai compté que les personnes dont les billets de train ont été payés par l'association. Elles devraient être plus nombreuses à être empêchées de rallier la manifestation”, a rapporté notre interlocutrice. Malgré une affluence relativement faible, eu égard au nombre très élevé d'algériens tués par les éléments des groupes islamistes armés, les manifestants ont réussi à ébranler les passants en leur rappelant qu'ils avaient payé un lourd tribut à la violence intégriste pour se complaire, aujourd'hui, à la libération de milliers de terroristes et à l'octroi de substantiels avantages sociaux aux proches de ceux morts aux maquis. “Non à l'oubli ! Nous voulons la justice, Boumediene, revenez voir ! Bouteflika a trahi les martyrs” ; “Debahine, kataline ou ykoulou moudjahidine” (égorgeurs, assassins, et ils prétendent être des moudjahidine)… Des portraits et des noms de victimes sont brandis à bout de bras. “Les enfants de ses assassins sont à l'université. Pourquoi l'ont-ils tuée ? Elle n'avait que 12 ans”, témoigne Amina Kouidri, en montrant la photo de sa petite sœur, Nour-el-Houda, égorgée dans sa classe devant ses camarades. “Je ne peux pas pardonner. Mme Flici n'a pas le droit de parler en notre nom”, ajoute la jeune femme. Mme Slimane a perdu son mari, un militaire, et un enfant âgé de trois ans dans un attentat ciblé. “Je ne suis pas contre la réconciliation nationale. Mais qu'on me donne mes droits et ceux de mes enfants avant de servir les familles des terroristes”, revendique-t-elle. Elle rapporte qu'elle a obtenu une attribution de logement en 1996. “Je n'ai rien eu concrètement. Je suis ballottée, depuis des années de service en service de l'institution militaire. C'est une honte”. Une femme, d'une trentaine d'années, s'avance vers les journalistes. “Mon mari m'a répudiée après que j'eus été violée par les terroristes. Je me suis réfugiée, pendant quelque temps avec mes enfants, aux Diar Errahma. Le directeur du centre a tenté d'abuser de moi. Comme j'ai résisté, il m'a renvoyée. Depuis, j'habite la rue. Je veux que l'Etat s'occupe de mon cas”, demande-t-elle ingénieusement. Chaque manifestant raconte une tragédie personnelle que nul ne peut comprendre hormis ceux qui en ont fait l'expérience. D'aucuns ne se résignent à accepter la disparition d'un proche, privé injustement de la vie. “Nous n'avons pas voté pour la charte. Nous revendiquons le droit à la vérité et à la justice”, scande Chérifa Kheddar. Avec ses compagnons de malheur, elle dépose une gerbe de fleurs à la mémoire de Karima Belhadj, jeune agent de la Direction générale de la sûreté nationale, assassinée au milieu des années 90, quelques mois à peine avant son mariage. Rendez-vous est pris pour dimanche prochain devant le palais du gouvernement. La mobilisation continue. S. H.