“Dans tous les pays du Maghreb, le Maroc, la Mauritanie, la Tunisie et La Libye, les visas sont des formalités et sont octroyés aux touristes, à leur arrivée. Hormis, chez nous”, déplore Ahmid Abdelkader. Propriétaire de Tadrart, une des 25 agences de tourisme de Djanet, il guette les touristes comme le paysan, avide d'eau, épie le ciel. Les voyagistes de la ville ont juste six mois pour faire leur beurre. Au-delà d'avril, les températures grimpent incommensurablement, les plongeant ainsi que leurs compatriotes dans une morne hibernation. Le patron de Issendilen, Abdou Borgui, a trouvé la parade. Binational, il vit durant l'été à Paris auprès de son épouse française et de ses enfants. Sur place, il part à la pêche aux clients, désireux de découvrir le Tassili. Depuis quelques années, des sites de voyage dans le Tassili pullulent sur Internet. Ils sont animés par de jeunes Touareg, souvent des guides en exil qui se sont improvisés agents de voyage, sans avoir pignon sur rue. “Ce sont des pirates. La plupart résident en France. Ils font venir des touristes à Djanet en cassant les prix”, s'indigne M. Ahmid. Le nom de son agence, Tadrart (en berbère, le plateau), est un appel au voyage. Il fait référence à l'un des sites les plus célèbres du Tassili. Situé à son extrême-sud, il retrace une œuvre d'art que nul être humain n'est en mesure de créer. Réputée pour être la perle du Sahara, Djanet est endormie dans un écrin. De part et d'autre du désert de sable du Tinighi, se succèdent des tableaux fabuleux de canyons, d'arches, de dunes, de pitons de gré, de guelta et d'oasis. Pour la fraîcheur de ses palmeraies et ses cyprès, les Touareg ont choisi Djanet comme une escale à leurs pérégrinations. Fatigués de leur voyage, beaucoup y ont trouvé le confort de la vie moderne. D'anciens nomades retournent régulièrement dans leurs anciens territoires en compagnie des touristes dont ils guident les pas à travers le gigantesque territoire. Chaouri Mohamed connaît le Tassili comme sa poche. Pendant des décennies, il se chargeait de conduire les randonneurs de l'Onat dans le désert. Il ne compte plus les kilomètres qu'il a “au compteur”. Ployant sous le poids des ans et malade, le Targui vient de prendre sa retraite. Chaque matin, il se rend au siège de l'office pour passer le temps. Emmitouflé dans son long habit chatoyant, l'homme bleu a perdu ses illusions. Le terrorisme, la bureaucratie et l'incompétence ont tué le tourisme, selon lui. “Depuis 1982, plus aucun ministre du Tourisme n'a mis les pieds à Djanet. Ont-ils peur d'être mangés par les hyènes ?” demande-t-il sarcastique. Coïncidant avec l'Achoura, la Sbiba a été célébrée sans faste le 9 février dernier. Certes, il était malvenu de festoyer alors qu'Illizi, le chef-lieu de la wilaya, restait touchée par les intempéries dévastatrices ayant eu lieu un mois plus tôt, mais la fête était déjà gâchée. Djanet a des atours que les autorités publiques locales et nationales n'ont aucune envie de montrer. Elle se contente de vivre de sa réputation. Ce qui est loin de suffire à ses 9 960 habitants. En 2005, l'Onat a reçu 550 touristes. Pour son directeur, le flux est appréciable. De toute façon, il n'aurait pas pu pouvoir en accueillir plus car ni l'Office ni la ville ne disposent suffisamment d'infrastructures hôtelières. L'Onat a une auberge de 20 places dont la construction date de 1969. De son côté, Tadrart vient de se doter d'un camping. Il existe bien deux hôtels. Le nouveau Tinighi, situé à l'entrée de la ville, affiche des prix exorbitants. Zriba, le plus ancien, est le point de chute des cadres ou de commerçants de passage. Son propriétaire, qui est également voyagiste, a ses propres groupes de touristes. Le dernier ayant séjourné dans l'hôtel vient du Niger, dans le cadre d'un circuit de plusieurs jours. Arrivés tard le soir, les randonneurs, en majorité des couples quinquagénaires, sont conviés au restaurant où des frites et des omelettes leur sont servies. Pour mieux digérer ce repas de fast-food, quelques-uns ont eu l'idée d'ouvrir des bouteilles de vin ramenées d'Italie, leur pays d'origine. En majorité, les touristes préfèrent voyager seuls, sans une prise en charge sur place. Les Allemands, les Autrichiens ou les Français avaient pour habitude de venir par route de Tunisie. Ils traversaient le poste-frontière de Taleb-Larbi et s'engouffraient dans le Tassili, à bord de véhicules chargés comme des baudets. “Ils ramenaient même leur eau avec eux”, confie Abdou Borgi, de l'agence Issendilen. Depuis l'affaire des 32 touristes allemands enlevés à Tamrit (dans le Tassili) par Abderazak El Para et son groupe, durant le printemps 2003, les étrangers ne sont plus autorisés à se rendre seuls dans le désert algérien. Sur instruction conjointe des ministères de l'Intérieur et du Tourisme, ils sont dans l'obligation de prendre attache avec des agences de tourisme locales. Or, cette mesure est à double tranchant. D'un côté, elle permet aux voyagistes d'augmenter le nombre de leurs clients. En revanche, ils doivent faire face à des tracasseries administratives qui font fuir les amateurs de l'aventure. “Pour l'obtention des visas, les choses ont été compliqués considérablement. On demande aux touristes de fournir plein d'attestations, dont une de travail”, note M. Borgi avec dépit. Lourdement pénalisés par le terrorisme, les agents de voyages voient leur business fondre comme glace au soleil. En 2004, l'arrestation de pilleurs de nationalité allemande en possession de pièces archéologiques, qu'ils avaient subtilisées au cours de leur vadrouille dans les contreforts du Tassili, a empiré les choses. Redoublant de vigilance, les services de sécurité pistent les touristes. “Ils sont devenus suspects”, constate le propriétaire d'Issendilen. Récemment, il a été arrêté à 33 barrages en compagnie de touristes qu'il a ramenés de Tunisie. “Comment voulez-vous que des gens viennent ? Il y a un vol charter qui vient de Paris. Sur 200 passagers, 20 descendent à l'escale de Djanet. Le reste part en Libye”, déplore-t-il. Son concurrent de l'agence Tadrart dénonce pour sa part la légèreté avec laquelle Air Algérie concocte ses programmes et les change au gré de ses humeurs. Pour les touristes algériens, s'offrir une virée dans le Tassili est un luxe. Le billet d'avion aller-retour à partir d'Alger coûte près de 25 000 DA pour une seule desserte hebdomadaire. S. L.