A l'import aussi bien qu'à l'export, des opérations purement spéculatives n'ayant aucune motivation réellement commerciale ont été montées en vue d'une fuite de capitaux et de transferts illicites de devises. Le réaménagement des textes réglementaires et les instruments liés au contrôle des changes et des mouvements de capitaux —devises — dont les failles continuent de servir presque légalement comme voies d'accès à de multiples opérations de fuites de capitaux et de transferts illicites, est d'ores et déjà annoncé par les pouvoirs publics. Ces derniers sont donc interpellés sur une question d'une extrême sensibilité. L'avant-projet d'ordonnance, examiné ces derniers jours par le Conseil des ministres, est appelé à réorganiser une fonction complexe, dont dépend une chaîne d'intervenants institutionnels et autres opérateurs publics et privés. C'est donc à l'autorité monétaire, en particulier la Banque d'Algérie, qu'il incombera de remettre à niveau ses prérogatives et à faire jouer ses mécanismes pour s'adapter aux nouveaux risques financiers, les transferts illicites, le blanchiment d'argent et les opérations spéculatives. Il s'agit de concilier entre le libre accès à la devise — dans le cadre de la convertibilité commerciale du dinar, consacrée par l'instruction 20/94 de la Banque d'Algérie — et la surveillance des paiements internationaux. La nouvelle donne, induite par la multiplication des banques privées et la volatilité des opérateurs de l'import-export, risque de rendre la tâche ardue à l'œil de vigilance de la Banque d'Algérie, responsable des agréments délivrés à la communauté bancaire. De par les mécanismes mis en place et la centralisation à son niveau de tous les flux de capitaux entrepris sur l'ensemble du réseau bancaire, et les instruments de contrôle dont elle dispose pour la détection des dérapages ou autres malversations, la responsabilité de cette institution est pleinement engagée. Il était donc temps, à l'heure de la mondialisation “financière” avec ce que cela peut entraîner en opération de mouvements de blanchiment d'argent, que les circuits de nos opérations financières extérieures soient scrutés réglementairement et techniquement. La prévention contre de telles pratiques dangereuses pour l'économie nationale et la stabilité monétaire interne ne doit pas se limiter à la mise en place de garde-fous bancaires uniquement. Elle doit, en principe, s'étendre à l'ensemble de l'activité du commerce extérieur. Car, c'est sur ce chapitre qu'ont été recensées les plus importantes hémorragies devises. Tant bien à l'import qu'à l'export, des opérations purement spéculatives n'ayant aucune motivation réellement commerciale ont été montées pour les besoins d'une fuite de capitaux et de transferts de devises illicites orchestrées au détriment de l'économie nationale. Les chiffres de cette catastrophe au change restent, jusqu'à aujourd'hui, objet à spéculation. Seule la Banque d'Algérie est en mesure de le révéler eu égard à son rôle et sa place incontournable dans l'architecture financière du pays. Pour la fameuse affaire dite des fausses domiciliations bancaires, qui a défrayé la chronique, l'on parle d'une fraude sur près de 760 millions de FF et 125 millions de dollars, entre 1998 et fin 2001, transférés par le biais des importations “alibi”, dénuées de toute connotation commerciale. Plus de 1 000 dossiers, montés de toutes pièces, avaient été confectionnés par les pseudo-opérateurs, apparemment avertis, en ce sens où ils ont exploité l'inexistence de passerelles de communication et d'information entre les maillons institutionnels de la chaîne commerce extérieur. Banque d'Algérie, banques primaires et douanes, ces institutions, activant sur le même axe d'affaire, se sont révélées totalement dispersées, accentuant et révélant la vulnérabilité du système en place et l'obsolescence du dispositif de contrôle des changes. Sans aucune contrepartie marchandise, soit des importations fictives, les fraudeurs, munis de dossiers “réglementaires”, avaient réussi à transférer ce qui devait être dû au titre de biens importés, présentés comme étant dédouanés et dûment réceptionnés. Par ce procédé, ils avaient utilisé les institutions bancaires, comme simples “bureaux de change” et converti leurs dinars sans passer par une quelconque obligation commerciale. Tout récemment, c'est la banque privée El-Khalifa qui a été frappée d'interdiction sur l'ensemble des opérations devises et autres mouvements de et vers l'étranger. Fait inédit, voire rare, en ce sens où le gel concerne l'établissement Khalifa et non pas une de ses agences. Souvent, lorsqu'il y a infraction ou malversation sur le change, la Banque d'Algérie intervient sur l'agence concernée et se limite par un retrait d'agrément, sans pour autant paralyser la banque mère. Cela a déjà été vu au niveau de centaines banques publiques dont des agences ont vu leur agrément retiré, se limitant juste à des opérations de caisse et sous-traitant les transactions devises avec leurs consœurs. Une pratique somme toute anodine dans la finance. Mais de là à étendre la mesure pour l'établissement mère — à l'image de ce qui a été fait à l'encontre Khalifa Bank — l'interprétation est autrement dimensionnée. Le crédit et l'assise, au double plan interne et externe, en prennent un coup. Dans la finance, cela implique une perte de confiance irréversible et une déperdition du capital engagé. Le débat sur l'autonomie et la compétence financière des établissements bancaires privés algériens n'en est qu'à ses débuts, en réalité. Pourtant, ces nouveaux intermédiaires financiers, qui ont gagné leur agrément, entraînent dans leur élan des pans entiers de la crédibilité du pays et engagent dans leurs activités de financement du commerce extérieur un flot devises considérable. Dans cette sphère de la finance privée, la qualité de banquier gérant d'une “concession de change” se confond souvent avec le paradoxe du statut de commerçant, finançant ses activités sur les ressources de son propre établissement. Serait-ce cet imbroglio, entre autres, qui aurait incité l'autorité monétaire à agir ? En tout cas, il faut s'attendre à du nouveau dans le mouvement des comptes devises, personnes morales et personnes physiques qui doivent inéluctablement être soumises à surveillance. Peut-on disposer de ses devises librement, en tant que particulier, et procéder à des transferts sans justificatifs commerciaux ? Quel sera le plafond des virements devises autorisés ? Ce sont autant de questions auxquelles devra répondre la nouvelle réglementation. Plus complexe encore, par quelle technique peut-on réellement identifier une potentielle transaction frauduleuse, ou importation fictive ? Il appartient à la Banque d'Algérie de tirer des enseignements des dossiers d'importation non apurés, qui représentent autant d'opérations à risques. Le meilleur exemple récent est celui de l'importation alibi du whisky frelaté, lequel n'a servi que de leurre pour justifier le transfert de devises. Par ailleurs, dans ce débat lié à la refonte des dispositifs de contrôle des changes, les douanes algériennes, notamment celles du port d'Alger — celui-ci représente l'essentiel du commerce extérieur — seront, à coup sûr, un partenaire précieux au titre des propositions qu'elles pourraient apporter et ce, à la faveur des multiples prises réalisées, les plaçant en position confortable pour comprendre et endiguer le phénomène de la fraude. Combien de fois l'institution douanière n'a cessé de dénoncer la passivité de la Banque d'Algérie, notamment les 120 jours de délais réglementaire qu'elle accorde aux exportateurs pour le rapatriement des devises. Des délais jugés trop longs et exploités pour entreprendre un maximum d'opérations export sans rapatriement. Dans un environnement économique où l'outil juridique, le registre du commerce en l'occurrence, est réduit au stade de marchandises, qu'on loue au gré de ses manœuvres de fraude, il devient capital de bouleverser en profondeur toute l'architecture du commerce extérieur qui n'interpelle pas uniquement l'autorité monétaire. A. W.