L'imprévisible Mouammar Al-Kadhafi a encore frappé. De Tombouctou où se tenaient les festivités liées au Mawlid Ennabaoui, le Guide libyen a appelé les habitants du Sahara, notamment les Touareg, à se réunir pour fonder une “fédération”. Le Guide libyen a choisi le moment propice pour lancer ce qu'il appelle le “Grand-Sahara”. Cet ensemble géographique et ethnique regrouperait, selon lui, “les Touareg, Arabes, Toubous, Sonraïs, Bambaras, les riverains du Nil, les habitants du Soudan, du Sinaï, de la Jordanie et de la péninsule arabique”, soit toutes les ethnies qui habitent le Sud, notamment subsaharien. Si les observateurs sont habitués aux provocations de Mouammar Al-Kadhafi, pour leur caractère superflu et irréalisable, ils signalent que Al-Kadhafi n'a jamais cessé d'encourager les Touareg d'Algérie, du Mali et du Niger à se “fédérer” en force politique et militaire. À Tombouctou, le leader libyen était entouré de plusieurs chefs d'état africains et subsahariens qui ont, à maintes reprises, eu à contrer des rébellions touareg. Le président malien, Amadou Toumani Touré, qui redoute que les accords de Bamako après la rébellion azawed de 1993 ne soient rejetés. Son homologue Mamadou Tandja du Niger pour qui les Touareg ne pardonnent toujours pas les affrontements de 1990, et le colonel Ely Ould Mohamed Vall, le nouvel homme fort de Mauritanie, qui avait déjà évoqué des risques d'infiltration de thèses salafistes au sein de certaines tribus touareg. Tous ces présidents étaient présents à Tombouctou et personne n'a osé contredire Al-Kadhafi qui affirmait avoir abordé le sujet avec “plusieurs dignitaires” (cheikhs, rois, sultans...) et dirigeants des pays concernés “tous d'accord avec le projet”. D'ailleurs, Al-Kadhafi n'a pas perdu du temps pour concrétiser son projet puisque des représentants de ces régions et communautés présents à Tombouctou devaient se réunir en marge de la célébration du Mawlid pour signer la charte de ce “Grand-Sahara”. À quoi joue Tripoli ? Si le projet paraît utopique, il n'en constitue pas moins une menace dans un Sahel déjà traversé par l'émergence de courants salafistes, l'odeur du pétrole et les risques d'implantation d'Al-Qaïda. Si on y ajoute la famine et la paupérisation des populations tribales, la proposition libyenne vise à déstabiliser un ensemble déjà mouvant. Car Al-Kadhafi n'en est pas à sa première incartade même vis-à-vis de l'Algérie. Au milieu des années 80, Al-Kadhafi avait créé “la légion islamique” regroupant les Touareg du Niger, du Mali et d'Algérie. Les incidents, qui s'étaient déroulés aux frontières algériennes en 1991, impliquaient des groupes azawed, financés par Tripoli et dotés d'un armement russe et chinois. Incidents réglés après l'intervention d'Ahmed Ouyahia dans la région. Mais depuis, Kadhafi n'a cessé d'avancer ses pions dans le Sahara. En avril 2005, il avait réuni des chefs touareg des pays limitrophes dans la ville frontière d'Oubari (sauf pour ce qui est des Algériens qui avaient refusé de s'y rendre), pour leur exprimer sa volonté de les doter d'une “fédération” à cheval sur les frontières algériennes, nigériennes et maliennes. “La Libye est le pays des Touareg, leur base et leur soutien”, avait-il martelé. Depuis, avec l'intérêt des Américains pour la région du Sahel, la donne est devenue subitement plus complexe. Tripoli, qui veut se refaire une virginité diplomatique après l'affaire de Lockerbie, semble décidée à se positionner comme un interlocuteur incontournable dans la région subsaharienne face à Washington. Et on retrouve Al-Kadhafi dans tous les bons coups où il se pose comme médiateur. Libération des prisonniers de guerre marocains par le Polisario, financement de la guérilla du Tibesti au nord du Tchad, encouragement des islamistes mauritaniens contre la présence des Israéliens à Nouakchott, tractations avec les ravisseurs des otages allemands dans le nord du Mali, livraison de l'ex-“émir” du GSPC, Abderrezak Al-Para à l'Algérie… Tous les moyens sont utilisés pour se placer, à coups de dollars et de kalachnikovs, dans la bande sahélienne surtout que la Libye avait accueilli les principales factions touareg en fuite de leur pays. Face à l'Algérie, la donne est plus délicate pour Al-Kadhafi. Alors qu'Alger tente d'apaiser la tension tribale entre capitales subsahariennes et mouvements touareg, pour la sécurité de ses frontières, et se consacrer à la lutte contre le GSPC et ses filières sahéliennes, la sortie de Al-Kadhafi gêne plus qu'elle n'inquiète. Même si quelques incursions militaires libyennes à nos frontières, qualifiées “d'unités égarées” à la poursuite d'immigrés clandestins et de contrebandiers, ont eu lieu récemment. Mounir B.