Cocasses ou hilarants, truculents ou débonnaires, facétieux ou pince sans rire, le trio de saltimbanques s'est déchaîné sur scène, chavirant les esprits et trépanant les mémoires. Il y a en eux, saupoudré, du Ksentini, du Touri et du Rouiched, du mime Marceau et du Maurice Chevalier. Cinq soirées durant, ces 3 mousquetaires du rire et de la dérision, de la caricature et du mime, ont diverti un public aux larmes. Yacine et Hichem Mesbah, les frères, accompagnés du camarade de promo, Othmane Bendaoud, et du guitariste Khalil Redouane, constituent le quatuor ; leur appellation est déjà un prélude à l'amusement par la distorsion “berbères” pour “bergères”. Le linguiste expliquera la coupure du syntagme par le paradigme, le public, lui, rit, et c'est le résultat souhaité ! Leurs thèmes sont puisés dans le quotidien des Algériens ; alternance de chansonnettes arabes, kabyles ou françaises et de saynètes courtes, simples, dans lesquelles le trait caricatural devient féroce, le style caustique et l'allusion vitriolée. Les comparses s'entendent comme larrons en foire, et leurs sketches s'enchaînent à un rythme effréné ; faire la chaîne (heureux souvenir des années 60-70 et 80) en se disputant : “Ne pousse pas !” “Je ne t'ai pas touché !”, ou tout bêtement discuter ensemble, dialogue de sourds ou personne ne laisse la parole à l'autre, stigmatisent un infime aspect de la particularité du caractère ombrageux de l'Algérien. Quelques tableaux savamment mimés dépeignent les sumos japonais au combat, les Russes, Boris et Ivan, “descendant”, cul-sec, leur verre de vodka, des rapeurs, ou des maffiosi tremblants, en présence de leur parrain (avec les intonations de voix de Brando !). Deux Kabyles émigrés, nostalgiques de la verdure et du ruisseau de leur douar, reprennent, ivres de bière bien fraîche, une complainte célèbre de Chérifa. Le must revient au chanteur chaâbi des années 60 et 70, gominé, un pied sur une chaise. Il se racle la gorge, crache par terre, se coiffe, arrange sa raie, remet le peigne dans sa socquette, renifle à plusieurs reprises et interprète Comme un soleil, entre les orties avec force variations accompagnées de torsions du mandibule inférieur… La prise de tabac à chiquer, la drague, les Arabes du Golfe, La panthère rose, sont, entre autres, les tableaux qui se sont succédé au grand bonheur d'un public déchaîné, électrisé, qui n'a ménagé ni cris, ni ovations, ni sifflets. Quelques chansons populaires vieilles d'un demi-siècle ont réveillé les mémoires endormies et ont été reprises en chœur par le public : Ya moustafa et la chanson-phare de l'indépendance à Constantine : Ya lehouahi madha darou fiya Ya lehouahi rakeb kat cent kata ! (Ah ! la 404 béjou 3 réfeils ! des folles années post-indépendance !). En bonnet, en feutre, ou en canotiers pour seul déguisement, accompagnés de leur guitariste virtuose Khalil Redouane, qui troque parfois sa guitare contre une paire de qarqabou, Yacine, Hichem et Othmane se sont démenés comme des diables, souples comme des félins, dansant, chantant, passant allégrement de la danse kabyle au paso doble. Le burlesque a enfin repris ses lettres de noblesse en Algérie ! Si Rouiched avait été là, de sa voix chevrotante, il aurait dit : “Mammani !” Deux jeunes filles, belles comme le jour, derrière moi, n'ont pas cessé de siffler comme dans un stade, brûlant la politesse, à tant de garçons qui n'ont pas encore acquis la technique ! Ma voisine de droite répond à un appel sur son mobile, aussi fort que si elle était chez elle ! J'apprends que le vol sur Béchar est détourné sur Alger, pour cause de vent de sable ! La météo nationale a sans doute oublié d'annoncer les ‘aouassif ramlia en question ? Pour d'autres tempêtes — de rire s'entend — nos trois compères vous donnent rendez-vous à l'Algéria, les 17 et 18 avril prochains. Merci, les enfants, pour notre rate, qui ne s'est pas autant dilatée depuis des lustres ! Talent, professionnalisme, ils sont promis à un bel avenir. N. S.