Le public qui était resté dehors était plus nombreux que celui qui a réussi à trouver une place dans le pourtant spacieux Théâtre de verdure du chef-lieu de wilaya, un théâtre bondé comme il l'a rarement été. C'est que, depuis des lustres, les Témouchentois n'avaient pas été gratifiés d'un plateau artistique aussi inédit. Tous les artistes venus ne s'étaient jamais produits localement. La DGSN offrait le spectacle dans le cadre de la semaine d'information qu'elle a organisée en direction de la population. C'est à Radia Manel qu'a échu la dure mission de chauffer le public. Elle s'en acquittera au moyen de sa voix chaude et puissante en entonnant des standards du répertoire algérois et maghribi. L'absence de projecteurs devant illuminer la scène ne lui a pas rendu service ainsi d'ailleurs qu'à Jalal dont l'animation a parfois manqué d'inspiration faute d'un bon contact avec le public, un contact que seul un adéquat éclairage permet. Cheb Hendou, lui, saura détourner de façon ingénieuse ce handicap. Il fera une entrée tout ce qu'il y a de plus cinématographique à la manière des comédiens-chanteurs du cinéma indien qu'il parodie à merveille. On l'entendra chanter avant de le voir surgir vêtu d'un costume blanc immaculé, se déhanchant le long du muret qui limite l'arrière-scène. Comme long panoramique latéral en légère contre-plongée, c'était si réussi que l'assistance en a été époustouflée. Mélangeant quelques piques en arabe dans un hindi à sa façon, plus vrai que nature, il pliera de rire le public avec ses facéties parfois improvisées. Il évitera de s'installer sur scène pour être plus près des spectateurs. Il s'éclipsera comme il était venu : dans un tonnerre d'applaudissement. Avec Houari Dauphin, c'est également le délire. La chiche lumière des lampions ajoutait au mystère d'un artiste sorti d'un trouble underground. Chevelure un rien féminine, en longue queue de cheval, le port distingué dans une tenue décontractée, Houari appellera tout de go le public à une minute de silence à la mémoire de Hasni dont c'était l'anniversaire de son assassinat. Il poursuivra le devoir de mémoire en interprétant Tal ghaïabek, un tub du regretté prince du raï. Puis il déclinera ses chansons d'un style parfois canaille, parfois sentimental, mais toutes enrobées de sensualité et d'envolées langoureuses servies par un timbre de voix au charme particulier. Il interprétera, entre autres, Sheraton, je pense à toi, je pense et fera chavirer les cœurs avec son dernier Ma jitich achaka. Puis, c'est un retour à l'humour, cette fois plus acide la fantaisie en moins, avec Hamid Achouri, un renommé pince-sans-rire, et Madani Meslem plus connu, également au petit écran, sous le nom de Kouider Lemouassakh. Ils parodieront respectivement un père et un fils dans un scabreux et tragicomique conflit de générations. Si Hamid s'en sortait bien dans ses réparties plus ou moins improvisées dans le canevas de jeu arrêté avec Madani, ce dernier y a été moins à l'aise parce que ce que disait l'enfant Hamid constituait une terrible accusation contre l'ordre patriarcal et que lui, en père lourdaud et malheureux, n'avait que la violence pour faire taire « l'insolence » de son rejeton. Ce qui faisait rire jaune le public. Enfin, pour terminer la soirée, chaba Yamina, en excellente ambianceuse, viendra enflammer le public. Et tout comme Hendou, elle évitera le piège de la scène, en allant directement vers le public. Déhanché gracieux, pas de danse tout en sautillant durant toute sa prestation, l'ex-truculente comédienne du TR Constantine voguera d'une chanson à l'autre dans son style sétifi-chaoui très rythmique. Elle interprétera entre autres son Aïnik ya anik qui l'a fait connaître ainsi que Zarzoura et reprendra la mélancolique Soub arachrach de la regrettée Zoulikha. Et bon cœur, elle invitera cheb Hendou à un impromptu duo qui clôturera sa prestation.