La situation du marché pétrolier, la hausse des prix du baril et l'Opep sont les principaux sujets abordés dans cet entretien. Liberté : Les pays membres de l'Opep ont affirmé qu'il n'y a pas de pénurie de pétrole sur le marché international. Est-ce que vous partagez cette analyse ? M. Francis Perrin : Effectivement, il n'y a pas, aujourd'hui, de pénurie de pétrole, puisque l'offre mondiale couvre la demande émanant des pays consommateurs. Mais cela ne veut pas dire qu'il ne pourra pas y avoir de pénurie. Je pense qu'il y a quatre facteurs essentiels qui influent sur les prix du pétrole. Le premier facteur est géopolitique et concerne, notamment, la crise nucléaire en Iran qui est le deuxième pays exportateur mondial de pétrole avec 2,5 millions de barils/jour. Si la situation se complique davantage en Iran, entraînant une incapacité de ce pays à exporter du pétrole, il pourrait y avoir une pénurie sur le marché. Et pour cause, les capacités de production non utilisées des pays de l'Opep sont évaluées à 1,5 million de barils/jour. Autrement dit, s'il y a une pénurie, l'Opep ne pourra couvrir la demande. Pis, si la situation au Nigeria et en Irak s'aggrave, le problème de pénurie de pétrole deviendra plus complexe. Le deuxième facteur est lié aux conditions climatiques, c'est-à-dire le risque d'apparition de cyclones dans région du golfe du Mexique. Le troisième facteur est le sous-investissement des pays producteurs de pétrole. Entre 2000 et 2004, l'industrie pétrolière mondiale n'a pas suffisamment investi dans le raffinage et la production de pétrole brut. Le quatrième facteur est la difficulté d'accès au domaine minier dans certains pays exportateurs de pétrole. Certains pays, comme le Koweït, l'Arabie Saoudite, l'Iran et l'Irak à cause de la situation géopolitique très tendue, la Russie, le Venezuela et le Mexique, demeurent fermés à l'investissement étranger. Est-ce que les pays membres de l'Opep peuvent faire face à une éventuelle pénurie du pétrole ? La position de l'Opep, lors de la réunion informelle de Doha (Qatar), reste très prudente parce que le marché pétrolier est très volatile et reste principalement lié à des facteurs géopolitiques. Les prix du pétrole n'obéissent pas à la loi de l'offre et de la demande. Donc, on ne pourra pas écarter une éventuelle pénurie du pétrole si la situation géopolitique se dégrade davantage en Iran ou en Irak. Aujourd'hui, il n'y a pas beaucoup de pays producteurs qui pourront augmenter leur production de pétrole afin de faire face à une très forte demande. Il y a uniquement l'Arabie Saoudite, le premier pays exportateur mondial de pétrole avec plus de 8 millions de barils/jour, qui pourra produire plus de pétrole, soit 1,5 million de millions de barils pour faire face à une hausse de la demande mondiale. Les capacités de production de l'Algérie atteindront 1,5 million de barils/jour d'ici fin 2006 et 2 millions de barils/jour en 2010. La demande mondiale de pétrole est estimée à 85 millions de barils en 2006. L'Opep produit actuellement 28 millions de barils/jour hors Irak. Ce dernier produit 1,8 million de barils/jour. La demande mondiale de pétrole atteindra 90 millions de barils/jour en 2010. Est-ce que les prix du pétrole dépasseront la barre de 80 dollars/baril ? Les prix du baril resteront toujours élevés, soit autour de 75 dollars. Cela dépendra de l'évolution de la situation géopolitique dans certains pays exportateurs de pétrole, dont l'Iran, l'Irak, le Nigeria et le Venezuela. Quelles sont les retombées de la hausse des prix sur l'Algérie ? Cette hausse est très bénéfique pour l'Algérie sur plusieurs plans. D'abord, il y a eu une très bonne tenue de la balance commerciale qui a enregistré un excédent important en 2005. Le volume de la dette extérieure a connu, également, une baisse significative pour atteindre, aujourd'hui, 18 milliards de dollars. Les recettes d'exportation des hydrocarbures ont dépassé la barre de 40 milliards de dollars et les réserves de change ont atteint plus de 60 milliards de dollars à fin 2005. Cette embellie financière va créer des conditions idoines pour financer les projets de développement économique. Ceci étant dit, tout dépendra de l'utilisation de cette rente pétrolière, à moyen terme, en vue d'encourager le développement d'activités économiques durables créatrices d'emplois et de richesse pour le pays. Les participants à la conférence de Doha ont plaidé en faveur de la création d'un cartel pour les producteurs de gaz naturel. Quelle est votre appréciation ? C'est une très bonne idée d'avoir une organisation pour les pays producteurs de gaz naturel d'autant plus que la production de gaz a enregistré une croissance rapide ces dernières années par rapport aux autres sources d'énergie. Mais, cette nouvelle organisation ne sera pas comme l'Opep, car le gaz naturel offre des contrats de vente à long terme, c'est-à-dire entre 15 à 20 ans contrairement au pétrole dont les livraisons sont fixés à 6 mois. La production mondiale du gaz est évaluée à 2 800 milliards de m3 en 2005. La production gazière de l'Algérie est estimée à 90 milliards de m3 en 2005, dont 60 milliards de m3 destinés à l'exportation. Les exportations en gaz naturel de l'Algérie peuvent atteindre respectivement 85 milliards et près de 100 milliards de m3 en 2010 et 2015. F. M.