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“130 mandats d'arrêt internationaux contre des Algériens”
Farid Bencheikh, chef du bureau d'Interpol à Alger à Liberté
Publié dans Liberté le 08 - 05 - 2006

Devant la multiplication des actes d'enlèvements, une stratégie sécuritaire est en voie d'élaboration pour assurer la protection des entreprises, banques et convois de fonds exposés à la menace. Nous apprenons, également, de ce criminologue, spécialisé dans la lutte contre le terrorisme, que nous avons rencontré en marge d'une visite d'une délégation étrangère, qu'entre 120 et 130 mandats d'arrêt internationaux sont lancés contre des Algériens, dont la majorité pour leur implication dans des affaires liées au terrorisme.
Liberté : Vous êtes auteur du livre Autopsie de la tragédie algérienne, quel regard portez-vous justement sur la situation sécuritaire dans le pays ?
F. Bencheikh : La situation s'est améliorée d'une façon très remarquable. Aujourd'hui, nous sommes loin des années noires ou rouges. Comme l'ont signalé les deux criminologues français, en visite récemment en Algérie, nous avons vaincu le terrorisme. Il faut maintenant penser à l'après-terrorisme.
Vous dites que l'Algérie a vaincu le terrorisme. Pourtant, des groupes armés frappent toujours…
Si l'on compare la situation actuelle à celle qui a prévalu il y a dix ans, nous pouvons dire que nous avons vaincu le terrorisme. Les observateurs, que ce soit au plan national ou international, sont unanimes sur cette appréciation.
En quoi consiste cet après-terrorisme ?
Il faut rester bien sûr très vigilant et continuer la lutte contre le terrorisme. Mais, il faut, en parallèle, donner la priorité au combat contre la criminalité organisée transnationale. Nous assistons à une multiplication d'actes d'enlèvements qui relèvent, notamment, de la criminalité organisée. Nous faisons également face au développement de la cybercriminalité, au trafic de drogue, de véhicules… Tout cela est lié à la criminalité organisée transnationale qui agit en réseau. Il faut savoir qu'il faut avoir des réseaux internes ou externes pour exister en tant qu'organisation criminelle.
Où en est la coopération entre l'Algérie et Interpol ?
L'Algérie collabore avec Interpol de manière efficace. Son expérience est très appréciée. Nos échanges d'informations, de renseignements et d'expérience au niveau des 184 pays membres d'Interpol sont permanents. En matière d'entraide judiciaire, nous assistons les magistrats étrangers à exécuter les mandats d'arrêt internationaux, et inversement, nous exécutons des commissions rogatoires internationales dans d'autres pays quand c'est nécessaire, notamment quand il s'agit d'Algériens impliqués dans des affaires de criminalité.
Concernant le cas des terroristes qui ont été élargis à la faveur des dispositions juridiques de la charte et qui ont été par la suite remis en prison parce que impliqués dans des attentats en France, pour les uns, et aux Etats-Unis, pour les autres, est-ce qu'ils vont être extradés pour être jugés dans ces pays ?
Les autorités algériennes n'extradent pas un Algérien, même s'il a commis des actes terroristes à l'étranger. La loi l'interdit.
Ils vont être rejugés ici ?
Je n'en ai aucune idée. Je vous renvoie aux explications du ministre de l'Intérieur.
Combien de demandes de renseignements émanant d'autres pays reçoit votre bureau ?
Quotidiennement, nous recevons facilement cinquante demandes de renseignements sur le terrorisme, la criminalité, les disparus, des individus suspects, le trafic de véhicules... Nous recevons des listes de documents volés (passeports, cartes d'identité…) et nous formulons également quotidiennement, à certains pays, des requêtes pour obtenir des renseignements dont nous avons besoin.
Ces demandes de renseignements émanent principalement de quels pays ?
De tous les pays d'Europe, beaucoup plus de la France, l'Allemagne, l'Espagne et de l'Italie. Et, bien sûr, de l'Ukraine, la Russie et des Etats-Unis.
Combien de mandats sont lancés actuellement contre des Algériens par la police internationale ?
Nous sommes à environ 120 à 130 mandats. Le chiffre fluctue en raison de l'évolution de la situation. À titre d'exemple, les mandats sont annulés dès que les personnes recherchées sont soit arrêtées, soit remises à la justice et jugées. Dans ce chiffre, nous avons une centaine de cas liés au terrorisme. Le reste touche la criminalité ordinaire ou organisée.
Est-ce que vous pouvez nous citer quelques noms de terroristes, objets de mandats internationaux ?
Je préfère ne rien dire, bien qu'ils soient connus.
Où en sont les négociations avec la Grande-Bretagne sur les extraditions ?
Comme l'a déclaré le ministre de la Justice, les négociations avancent pour l'élaboration d'une convention bilatérale. Nous sommes en pourparlers. Il y a des conditions et des règles à respecter.
À combien se chiffrent les demandes d'extradition formulées par l'Algérie ?
En 2006, nous avons réussi cinq opérations d'extradition d'Italie, de France, d'Espagne et d'Ukraine. Trois liées à des affaires de terrorisme et deux relatives à des dossiers économiques et financiers.
Pouvons-nous avoir plus de détails ?
Je ne peux pas vous en révéler davantage parce que ces affaires sont en instruction.
Le procès Khalifa a été annoncé pour ce mois de juillet, y a-t-il du nouveau autour de l'extradition du principal concerné de la Grande-Bretagne ?
C'est une affaire comme une autre. Le mandat d'arrêt international contre Abdelmoumène Khalifa est toujours en vigueur. Nous attendons qu'il soit arrêté.
Qu'est-ce qui empêche la Grande-Bretagne d'exécuter ce mandat d'arrêt ?
Je ne sais pas. Nous attendons d'être contactés pour nous informer de son arrestation. Nous préparerons, en conséquence, le dossier d'extradition. Jusqu'à présent, rien n'est fait.
Comment expliquez-vous la fréquence des kidnappings assortis d'une demande de rançon ? Est-ce une volonté de s'enrichir ou un besoin pressant de fonds pour s'approvisionner en armes ?
Le premier objectif de la criminalité organisée est le gain facile, c'est-à-dire engranger beaucoup d'argent en prenant un minimum de risques. Donc, que les auteurs des enlèvements soient de simples criminels ou des terroristes, peu importe. Leur but est le même. Nous devons penser à protéger les cibles vulnérables. C'est dans ce sens-là qu'une stratégie est en train d'être élaborée. Nous entamerons sa mise en œuvre par la lutte contre la criminalité organisée transnationale.
Quelles sont, selon vous, les cibles potentielles ?
Ce sont bien sûr les entreprises vulnérables, les transporteurs de fonds, les banques… En somme, des lieux où les criminels peuvent frapper facilement. Nous faisons une étude et si nous estimons que tel quartier ou entité est vulnérable, nous renforçons la sécurité. Tout en restant toujours dans le domaine légal et législatif, nous prévoyons dans les nouveaux amendements d'accorder à un officier de police judiciaire plus de prérogatives. Actuellement, sa compétence est territoriale. Son champ d'action est d'emblée limité.
Or, s'il poursuit des criminels, dotés de véritables réseaux, il a besoin d'une compétence nationale. Cela, nous l'avons demandé et je crois que c'est accordé. Nous avons également demandé la prolongation de la garde à vue de 48 heures à 12 jours dans le cas d'une activité liée à la criminalité organisée. Cela est pris en considération dans le nouveau projet du code de procédure pénale.
Protéger des cibles potentielles, comment ?
En élaborant d'abord des lois appropriées. C'est ce que nous faisons dans le cadre de la réforme de la justice.
Les autorités algériennes s'évertuent à améliorer le corpus législatif en fonction des exigences nationales et internationales, notamment les exigences dictées par les conventions que l'Algérie a ratifiées ou signées et en fonction des résolutions du Conseil de sécurité. Parce que ces résolutions ont, je dirai, un aspect contraignant. Dans ce sens, nous sommes en train de formuler de nouveaux amendements et d'adapter la loi à la réalité, aux exigences nationales et internationales concernant notamment la loi sur le blanchiment d'argent, la cybercriminalité, la corruption, le trafic d'armes, le trafic de produits nucléaires, etc.
Quel est le niveau d'interconnexion entre la criminalité et le terrorisme ?
Dans tous les pays du monde, cette relation existe parce que les uns ont besoin des autres. Les criminels organisés ont besoin des terroristes pour faire écouler leur armement et autres marchandises. De leur côté, les terroristes ont besoin de la main-d'œuvre et du savoir-faire des bandes organisées de criminels. C'est devenu une sorte de marché.
Dans quel domaine ce lien se fait le plus sentir ?
Vous avez l'exemple type au Sahara, avec Mokhtar Benmokhtar et la contrebande. C'est un terroriste qui se livre à toute sorte de contrebande pour survivre.
Son cas illustre parfaitement cette connexion entre terrorisme et crime organisé. Benmokhtar a commencé avec le GIA, puis il a rejoint le GSPC. C'est un terroriste notoire recherché et non un simple contrebandier.
C'est un contrebandier qui s'adonne au terrorisme. Mais il n'a pas oublié son métier d'origine. C'est quelqu'un qui connaît le Sahara et qui utilise des 4X4 volés dans ses déplacements. Il a une bonne connaissance du désert. Il bénéficie, de surcroît, de la complicité des guides et d'individus de pays voisins.
En tant que criminologue, pensez-vous que la réinsertion sociale des terroristes qui ont bénéficié des dispositions de la charte est possible ?
S'il y a repentir, oui. On réinsère les personnes qui se repentent de leurs actes, pas celles qui écument encore le maquis. Quand le terroriste est entre nos mains, nous disposons de moyens scientifiques pour le soutenir psychologiquement.
Vous prétendez qu'une réinsertion sociale est possible pour un terroriste, pourtant le directeur général de la Sûreté nationale ne semble pas de cet avis. Il a déclaré, lors de sa dernière conférence de presse, que la plupart des repentis ont regagné les maquis ou investi la grande criminalité…
Je parle du repentir de l'acte terroriste. Si le terroriste verse dans le crime organisé, c'est autre chose. Qu'il se repente de ses idées criminelles terroristes parce qu'il était endoctriné. Qu'il laisse tomber cette pseudo cause islamiste extrémiste, c'est déjà là un repentir.
Dans le cadre de la charte pour la paix et la réconciliation, on est dans le cas d'un repentir en échange de privilèges : pension, casier judiciaire vierge, réintégration dans le poste de travail.
Cela veut dire simplement que le terroriste n'est pas convaincu de sa cause. Se repentir ainsi facilement signifie que l'idéologie, qui a animé et motivé ses activités terroristes, n'était pas solide.
N. H.


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